BIBLIOTHÈQUE
DE PHILOSOPHIE COMPARÉE
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JEAN-MARC
TRIGEAUD
Justice et tolérance
TABLE DES
MATIÈRES
Introduction
I
Des types
esthétiques à l’engagement
CHAP. I – Le
mythe du héros et l’esthétique de la justice
CHAP. II – Le
héros et la culpabilité pénale
CHAP. III –
L’idée personnaliste de la justice
II
Critique du
réductionnisme théorique
CHAP. IV – La
théorie du droit face aux savoirs de substitution
CHAP. V – Le
légal et le moral du point de vue positivisme
CHAP. VI –
L’identité de la personne
III
Du mal sectataire
aux réponses du droit
CHAP. VII – La
justice divine entre nature et personne ou le fondamentalisme à l’épreuve
CHAP. VIII – Le
droit et la personne ou l’élémentaire de la tolérance
CHAP. IX – La
tolérance aujourd’hui et ses limites
IV
CHAP. X –
Fragments et témoignages
CHAP. XI –
Nouvelles réflexions sur justice et humanisme
CHAP. XII –
Argumentaire final
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La tolérance
signifie certes pour beaucoup le respect de la diversité des opinions et des
croyances, et la recherche d’un compromis pacifique entre elles. Mais la
justice exige bien davantage. Car elle n’entend pas ramener le partage et
l’égalité à la meilleure des solutions, alors qu’il reste le sacrifice, ni le
droit à ce qui suffit, alors que le droit peut être injuste. C’est que la
justice introduit l’exigence de la vérité, d’une vérité une et intransigeante,
la vérité de la personne sous la nature de l’homme, la vérité de la dignité
singulière et vivante sous les notions abstraites. La justice ne souffre guère
ainsi le scepticisme de la connaissance, ou la résignation de la volonté, cet
abandon intellectuel et moral que professent les théories dogmatiques de
l’heure, ces théories du consensus et du « raisonnable » qui viennent
de justifier, au nom du droit et de la loi, les atteintes subies par tant
d’innocents, comme elles justifièrent hier ce qu’elles prennent le sinistre
alibi de dénoncer avec bonne conscience aujourd’hui. La justice implique donc
le courage d’admettre la référence à un ordre supérieur au compromis, l’ordre
idéal de l’être au-dessus de la structure conceptuelle des faits, cet ordre
dont témoignent les héros et les saints et qui justifie seul l’égalité de
compromis du droit : qui fait que le droit est droit, mais qui rappelle
que le droit est second.
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Jean-Marc
Trigeaud, n. 28 déc. 1951 à Bordeaux, philosophe et juriste de formation,
lauréat et docteur d’État de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), il
est professeur de philosophie du droit à l’Université Montesquieu Bordeaux
IV.
Il appartient à
diverses institutions scientifiques internationales et académies étrangères (il
est notamment Membre d’honneur de l'Académie Royale Espagnole, section
législation et jurisprudence, de l’Académie des lettres et arts de
Modène et Correspondant de l’Académie nationale de droit et sciences
sociales de Cordoba/Arg., co-fondateur de la Société internationale pour
l’unité des sciences). Il figure au comité de direction scientifique de
nombreuses collections et revues internationales (a été membre du comité de
direction des Archives de philosophie du droit, Paris, Sirey, 1983-1990,
et co-rédacteur en chef 1991-2005 ).
Traduit en
plusieurs langues, il est l’auteur de plus de deux cents publications
principales en philosophie du droit, dont plus d’une dizaine d’ouvrages
fondamentaux. Plus de douze mille pages publiées ayant donné lieu à plus de
deux cent articles de recensions et recherches
universitaires dans le monde. Son domaine essentiel demeure la
philosophie juridique, politique et morale dans une orientation résolument
métaphysicienne et soucieuse d’une ouverte à la théologie. Il s’est enfin
engagé, suivant les mêmes thèmes et perspectives, dans l’approche comparée des
mythes et des cultures et dans la critique esthétique.
Aspects
bio-bibliographiques : American Biographical Institute et Philosopher’s
Index ; Justice et tolérance : chap. X.I ;
Métaphysique et
éthique... : chap.10.
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DU MÊME AUTEUR,
hors B.P.C.
La possession des
biens immobiliers, nature et fondement, (prix Picard Université de Paris II),
préf. F. Terré, Paris, ed.Economica, 1981, X-632 p.
Essais de
philosophie du droit, Gênes, Studio ed. di Cultura (col. “Bib. Filosofia Oggi”
–35), 1987, 350 p. (épuisé)
Une peinture de
l’expectative. Essai sur l’esthétique de F. Bellomi, (bilingue),
trad. Vittoria Ambrosetti-Salvi, Vérone, Accad. Belli Arti, Cignaroli, 1988
Philosophie
juridique européenne. Les institutions, (dir. J.-M. T.), L’Aquila-Roma, ed.
Japadre (col. « Categorie Europee » - 16), 1988, 216 p.
Persona ou la
justice au double visage, Gênes, Studio Editoriale di Cultura (col. « Nuova
Bib. Filosofia Oggi » - 1), 1990, 300 p. (épuisé)
Notices de
philosophie du droit à l’Encyclopédie universelle de philosophie, Paris,
P.U.F., volumes « Notions », 2 t., 1990, et « Œuvres », 2
t. 1991, et au Dictionnaire de philosophie politique, Paris, P.U.F.,
1996
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Il faut d’abord s’entendre
sur l’identification de la personne humaine pour trancher la question de la
tolérance.
S’il y a des
conceptions de la tolérance qui s’affrontent, c’est parce qu’il y a des
conceptions de la personne qui philosophiquement divergent.
Durant
les quarante dernières années, a sévi un rejet intempestif de toue réflexion à
caractère proprement philosophique, assumant l’exigence métaphysicienne, sous
la poussée de diverses théories délibérément « anti-humanistes » (qui
reproduisaient d’une autre façon l’attitude anti-humaniste et historicisante de
type heideggérien) ; la question
de l’homme n’avait plus à se poser, et c’est ce qui a conduit au remords
commode que l’on sait.
L’on n’a
philosophiquement disserté pendant longtemps que sur les relations (les critères
de bonnes ou mauvaises relations), sur la communication, d’où la recherche du
partage et de l’égalité ; et le droit triomphait, mais un droit purement
instrumentalisé et vidé de références à des orientations normatives de justice.
Mais les termes de
la relation, les sujets de la communication, les personnes dites égales,
n’avaient reçu aucune définition. Cependant, sont apparus brusquement
violences, guerres et racismes qui ont montré que la conception anti-humaniste
de la relation, qui interdisait d’envisager la question métaphysique du
« sous-jacent », de l’identité humaine, ne suffisait pas à résoudre
quoi que ce soit et n’était nullement protectrice.
p. 232-233
La mauvaise
conscience prend, en tout cas, les mêmes détours. Elle utilise l’injustice pour
détourner d’une autre justice. Elle organise même un droit injuste, au nom de
la première injustice, pour réprimer les dénonciateurs de la seconde, comme
s’ils étaient négateurs ou co-auteurs de la première. Une dialectique perverse
s’en suit qui reflète un rapport de déséquilibre tragique entre les deux
injustices. Or tout injustice en « vaut » une autre. Au-delà des
génocides, juifs, arméniens, africains…, dont la massivité ou la globalité
nettement circonscrite offre moins de prise au phénomène, les victimes d’une
pure idéologie interne aux peuples (politique ou religieuse) s’y prêtent mieux.
Les suppliciés de la Terreur bleue valent les exécutés de la Terreur
blanche ; et si donc le droit peut être « injuste », les
fusillés des tribunaux de Léningrad, de Prague ou de Phnom Penh
« équivalent » à ceux de Faux passeports, du Mur ou de L’Espoir…
Le piège est, semble-t-il, d’engager une réflexion qui présuppose une opinion
irrationnelle et mythique, et d’introduire une hiérarchie. Ce qui ne pourrait
se faire par la comparaison de simples aspects quantitatifs et extérieurs ou
par l’unique référence au temps écoulé, aux circonstances, voire aux catégories
de sexe et d’âge… Ce qui ne pourrait s’envisager, si la seule valeur considérée
tire son contenu de la dignité de la personne humaine et de toute personne,
sans discrimination dont un système de droit serait l’allié. Mais la mauvaise
conscience devient mauvaise foi, elle est d’une mémoire sélective, et elle
dresse sur ce chemin son verdict de censure qui accable désormais tout jugement
de contradiction.
p.
234