Revue de la B.P.C. THÈMES I/2009
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mise en ligne le 8 juin 2009
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L’authenticité juridique de l’œuvre d’art
et la critique philosophique de l’interprétation.
Libres propos
par Jean-Marc Trigeaud,
Professeur à
l’Université Montesquieu Bordeaux IV
Pour déterminer l’authenticité d’une œuvre, la
doctrine civiliste française traditionnelle a recours à deux approches
complémentaires.
La première obéit à une démarche subjective
et part du point de vue classique des vices du consentement. Elle oblige à
considérer que la qualité dite « authentique » d’un objet s’affirme
comme essentielle dans la représentation intellectuelle que l’on s’en forme en
concluant un contrat à son propos ; l’authenticité telle qu’on se la
représente mentalement est par là de nature à déterminer la volonté à s’engager
dans un contrat, généralement de vente, et à s’y obliger.
L’authenticité désigne donc l’élément central
de la représentation subjective qui a déclenché la volonté contractuelle ;
et cette volonté est à percevoir abstraitement dans son aptitude à être
généralisée et à être attribuée aussi bien à l’autre partie au contrat.
Ainsi comprise, l’authenticité peut être à
l’origine d’une erreur qui est susceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
Chez le contractant qui s’en prévaudrait, l’erreur consiste à s’être trompé,
comme quiconque l’eût fait à sa place, sur une qualité d’authenticité qu’il
avait regardée comme décisive, l’autre partie n’ayant pu réciproquement qu’en
faire de même.
Dans ces conditions qui privilégient la
psychologie du sujet de droit contractant et ses représentations cognitives, il
n’est pas étonnant que n’importe quel élément authentique qui ne constituerait
pas le trait majeur d’un objet dans sa réalité même puisse cependant le devenir
dès qu’il s’impose comme tel dans l’esprit des parties. C’est, en droit
français, la subjectivité qui a le dernier mot. L’affaire de la
non-virginité de la femme dans la formation du mariage donna récemment lieu
sous cet angle à un malentendu (comme à d’imprudentes déclarations politiques)
sur la responsabilité limitée d’un droit civil, en matière d’erreur sur la
personne et sur ses qualités substantielles ; car son caractère formel et
abstrait ne saurait préjuger de contenus tant qu’ils ne portent pas atteinte à
l’ordre public établi.
Mais à supposer que l’authenticité réponde à
cette première exigence, encore faut-il pouvoir la reporter sur l’objet même
saisi cette fois dans sa réalité. C’est pourquoi une deuxième approche de
l’authenticité conduit à adopter une démarche objective en s’attachant à
l’objet indépendamment de sa représentation subjective et en dehors de la
volonté des parties au contrat. Il importe tout simplement que la qualité d’authenticité
qui lui est prêtée subjectivement se retrouve objectivement, quelle qu’en soit
la référence (authenticité d’auteur, d’époque, de composantes, de rattachement
à un lieu de production ou d’exposition, etc.), et quelle qu’en soit également
la portée qui peut même, en certains cas, être apparue comme la plus inattendue
ou la plus saugrenue dès l’instant où les deux parties l’ont adoptée : un
acheteur n’avait-il pas jadis invoqué l’inauthenticité d’un tableau de
Delacroix qui, bien qu’il ait été de la main même du peintre, n’aurait pas été
celui qui avait été placé au-dessus de son lit au moment de sa mort ?
Le droit français a beau accorder ici une
grande part à la représentation subjective, ce qu’il a hérité de l’idéalisme
kantien et du criticisme, il n’en est pas moins conduit à accueillir ou à
admettre les données reconnues par les droits d’inspiration romaniste qui
partent de la chose à qualifier d’authentique pour remonter ensuite à l’idée
que l’on est censé s’en être fait. La différence entre ces deux systèmes
juridiques pourra dès lors tenir uniquement au fait que des éléments qui
n’entreraient pas dans la psychologie commune, telle que l’objet la reflète par
lui-même, risquent d’offrir un aspect différent à travers la psychologie
concrètement manifestée des contractants qui détiennent le pouvoir de
refaçonner en quelque sorte l’objet dans leur acte juridique. Mais cette
question est somme toute assez marginale. Le problème de l’authenticité est
habituellement le même : qu’on l’aborde par la voie subjective ou par la
voie objective, pour commencer ou pour terminer, il s’agit toujours de devoir
s’interroger à la fin sur l’objet pris en lui-même.
*
C’est à cet égard toutefois que d’autres
difficultés surgissent qui contraignent à nouveau à délimiter, dans le champ
même des interprétations, un subjectivisme et un objectivisme d’une autre
nature, impliquant eux aussi des présupposés à caractère philosophiques,
idéalistes ou réalistes, et dont cette fois une grande partie de l’opinion
juridique et cultivée ne semble guère très consciente à défaut d’un éclairage
théorique plus rigoureux.
Après avoir établi l’authenticité
subjectivement, que signifie véritablement son approche objective qui permet de
regarder, dit-on, la chose dans sa réalité ?
La réalité de l’existence de la chose paraîtra
désigner un requisit évident qui, en droit du moins, postule un réalisme de
l’existence.
Mais l’authenticité a trait aux
« qualités » de la chose, et donc ici le réalisme auquel elle renvoie
viserait plutôt un réalisme de l’essence de celle-ci. Or, une
distinction s’impose à propos de l’œuvre d’art dont la structure n’est pas
uniquement matérielle, physique et quantitative, mais incorpore une création
immatérielle et qualitative de l’esprit humain
D’un côté, il est des qualités physiques ou de
conformité physique (nature du matériau, identification d’une date), et ces
qualités réclament une méthode de recherche scientifique, empirique, de
vérification et de démonstration, avérant clairement la réaction qu’atteste un
tube à essai symbolique : la réponse est positive ou négative, sans la
moindre hésitation. En l’occurrence, la qualité objective d’authenticité n’est
telle qu’en tant que factuelle : elle découpe un fait dans la
réalité de l’existence, et elle le corrobore ou non. Mais voilà qui ne suffit
pas toujours quand la composition chimique de la toile et la superposition des
couches paraissant dévoiler une version stylistique primitive sont impuissantes
à attester vraiment une paternité sans faille. Le mystère d’un prétendu tableau
de Poussin (selon le pavillon de Flore), contesté par Drouot et par un futur
immortel à l’Académie, commissaire-priseur et expert de son état, ressemble
fort à celle du suaire de Turin renvoyant à leurs limites les essais de
laboratoire. Reste qu’il peut n’y avoir aucun doute, mais que la chose étant
humainement liée aux intérêts et aux pressions en cours, sa vérité reconnue
peut se voir refoulée et sacrifiée à la raison d’Etat d’un marché : c’est
un incontestable Sisley, opposera-t-on au vendeur, mais d’une sombre période
d’hiver londonien, vécue en quelque masure inconfortable et qu’il vaut mieux ne
pas rappeler aux historiographes, et qui décevrait le genre convenu d’un
peintre recherché par les collectionneurs pour ses paisibles extérieurs sous la
neige.
D’un autre côté, il est des qualités dont la
considération est un facteur exclusif de détermination de l’authenticité et
qui, certes, peuvent être présumées à travers les qualités précédentes,
qu’elles prennent pour support. Mais ces qualités en appellent précisément à une
méthode d’interprétation, et non à proprement parler à une méthode de
constatation ; et l’interprétation en cause s’attache à un savoir
d’expérience touchant les valeurs culturelles, si la culture, contrairement à
la pensée husserlienne, est bien ce qui ajoute une valeur à une nature
d’ordre physique et plus réceptive et passive qu’informative et active (dans
l’acception profondément ontologique de ces termes). Une telle interprétation
culturelle et non scientifique peut s’accréditer par les compétences
scolairement ou académiquement garanties de ceux qui sont chargés de l’émettre.
Elle ne possèdera jamais de critère reposant sur des certitudes apparentées à
celles qui dérivent de la vérificabilité ou de la démonstrabilité. A la source,
elles procèdent de la présomption qui est suspendue à un titre plus qu’elles ne
mesurent le degré d’exactitude d’un examen pratiqué sur un objet. Force est
donc de s’en tenir à la relativité inévitable, en toute bonne foi, du
témoignage de celui qui l’exprime. Ainsi, à propos d’un même objet sur lequel
une seule interprétation matérielle et scientifique peut être admise comme
vraie, plusieurs interprétations culturelles faisant saillir leurs
divergences peuvent être retenues sans suspicion pour autant de fausseté qui
impliquerait une quelconque mauvaise foi, ni sans arrière-plan forcément de
nominalisme herméneutique, selon un nietzschéisme que les philosophes, tel
Ricoeur, appliquent à la théologie, ou, tel Deleuze, à la psychanalyse, mais
qu’il serait malvenu d’assigner à l’esthétique des objets qui sont froidement
et existentiellement hic et nunc et ne constituent pas uniquement des
profils schématisants de pensée. Sans avoir à en revenir au Nouvel esprit
scientifique (Bachelard) ou à l’Anthropologie du geste (Leroi-Gourhan),
l’évidence de cette réalité s’affirme comme première ; et telle est la
réalité même de tout art, sans qu’il soit non plus besoin de mentionner les
commentaires des carnets, à plus d’un siècle de distance, d’Eugène Delacroix ou
de Pierre Reverdy, ou les observations d’Henri Focillon dans son essai sur les
formes créatrices, ou les approches de critique esthétique de Charles Lalo,
d’Etienne Souriau et de René Huyghes, pour en rester à des auteurs anciens
puisqu’il s’agit d’identifier le plus souvent des œuvres elles-mêmes situées
dans le registre de l’ancienneté ; tout art désigne ainsi une sorte de
« troisième monde » entre le monde subjectif de l’homme créateur et
celui de valeurs dont il peut s’estimer l’interprète. Même le point de vue de
la réduction à l’objet du manifeste kandinskien Du spirituel dans l’art
qui semble opérer en début de XXe siècle une purification de toute
représentation et la ramener à un substrat minimal mais situé dans l’esprit,
n’abolit pas cette dimension radicalement méta-subjective.
La seule manière de démarquer en tout cas les
interprétations culturelles en conflit est, au-delà de la hiérarchie des titres
et qualités des personnes et de l’importance de leurs travaux accomplis,
d’essayer de se faire juge de la teneur des argumentations respectives. Mais
encore faudrait-il être capable de pénétrer les arcanes des références internes
propres à chaque formation culturelle et propres à leurs langages ; et
encore serait-il souhaitable de reconnaître, semble-t-il, quelque priorité à ce
qui paraît le mieux garantir le degré d’une formation et de sa validité. Or, on
ne peut mettre sur le même plan l’appréciateur autodidacte ou journaliste et le
titulaire d’une chaire en université ou au collège de France ou le conservateur
d’un département muséographique ; on ne peut non plus traiter de la même
façon expertise publique et privée, quand la rémunération ou l’intérêt est
susceptible d’influencer et de contaminer de préférences subjectives le jugement.
Cependant divers paramètres interviennent aussi, et l’expérience du marchand
accrédité par son passé et sa clientèle sur un marché donné peut compléter une
expérience reliée à une approche plus livresque.
*
Voici donc que, même concernant l’objet pris
en lui-même, un idéalisme pourrait apparaître consistant à faire admettre que
son authenticité n’exprime pas une essence réelle, ni un fait scientifique
détaché d’elle, mais un donné idéal : l’objet devient idée représentée, ideat,
lieu d’un conflit herméneutique dont il ne saurait être nié qu’il ne sera pas
dénoué par le recours à un critère d’objectivité réelle. Cela ne signifie
nullement que l’œuvre est désappropriée de son auteur et de son substrat, de sa
paternité ontologique pour entrer dans un champ de forces totalement
subjectives où chacun peut en faire ce qu’il veut et la reconstruire dans sa
perspective singulière. Cela montre simplement que sa nature même s’expose,
sans relativisme de cette sorte, à un autre type de relativité qui condamne à
accepter les limites des jugements appréciatifs de ses qualités.
Il est alors parfaitement possible de
concevoir qu’une statue égyptienne en pierre métamorphique dont aucun examen de
laboratoire ne peut rendre compte de l’authenticité du modelé et de l’époque soit
authentique pour un conservateur et un universitaire, et qu’elle ne le soit pas
pour d’autres « experts » : aucun argument ne saurait être
définitivement arrêté ; aucun ne peut non plus soupçonner de mauvaise foi
les autres, en dehors de justes présomptions tenant à des éléments
d’expérience : un expert a des raisons de nourrir des rancoeurs tenant à
son parcours universitaire antérieur, à ses échecs, voire à ses jalousies,
etc. ; un autre, par contre, a toute raison d’opposer qu’une correspondance
établie constituait de mauvaise foi son concurrent invoquant l’authenticité
d’une pièce dont il avait été prévenu par un homologue étranger qu’elle avait
figuré dans une exposition de faux célèbres dans son pays en début de siècle
sans en informer son client ; un dernier, enfin, prendra la mesure des
attentes d’un public ou d’une confrérie dont il n’osera braver l’opinion,
qu’elle soit vraie ou fausse, même lorsque le jugement discuté relève non plus
de l’interprétation mais davantage des suites à tirer d’une constatation :
à accueillir ou à censurer, comme on l’a vu plus haut pour l’un des plus
célèbres impressionnistes anglais. Les données psychologiques et sociales qui
conditionnent en tout cas tout témoignage et permettent d’en engager en
sciences humaines la critique, comme le fit Norton Cru pour la guerre, sont
aisées à comprendre ; par glissement indu d’un plan cognitif à un autre, la
seule mauvaise foi peut venir d’un avis qui s’affirme du point de vue
scientifique alors qu’il se sait sans portée du point de vue culturel ou
qualitatif : le laboratoire qui prétend soutenir que l’analyse
physico-chimique démontrerait le contraire ment, car il sait qu’en dehors du
préhistorique l’analyse des traces ne prouve rien et que l’on ne peut pas
établir l’authenticité ou l’inauthenticité d’une pierre sculptée par une voie
de cette nature ; c’est pourquoi les musées sérieux, dont le Louvre, la
refusent en semblable circonstance ; libre aux collectionneurs privés, qui
achètent au fond des certitudes, d’y croire en faisant fonctionner un marché de
l’expertise qui relève de pures garanties psychologiques. Même si la pièce
litigieuse est effectivement un faux (mais déjà d’une époque ancienne), les
copeaux de fer découverts avec les traces d’instruments modernes sur une statue
d’Egypte du Nouvel Empire ne prouvent rien de l’intérieur, et les arguments que
l’on en tire se démontent sans peine quand on connaît le mode de transport sur
bâteaux à vapeur pourvu de chaufferies au XIXe entre Alexandrie et Marseille
par exemple, et quand on ne dispose d’aucune information solide ni exhaustive
non plus sur les outils de l’antiquité ni même sur des matériaux qui se sont
perdus, ni sur d’éventuelles retouches qu’a pu apporter un amateur épris d’une
esthétique originale : ne dit-on pas qu’un passionné de pierres antiques les
faisait systématiquement toutes redécouper et repolir par les ateliers d’un
maître en pierres tombales à proximité du Père Lachaise ? Cela enlève-t-il
quelque chose de « substantiel » à leur authenticité ? Bien
entendu, le foret dont on relève le passage dans le percement grossier d’un
sceau-cylindre mésopotamien en stéatite ou même en coquillage, livre une
vérification suffisante d’hypothèse comme un avis sans appel : la pièce a
été fabriquée, car il ne viendrait à l’esprit de personne de la repercer, et le
percement en deux parties, par chaque embout, est alors caractéristique d’une
tentative maladroite d’imitation moderne. C’est là seulement que l’exception
confirme la règle.
Note
bibliogr.et thématique : l’erreur sur la substance en droit civil a donné
lieu, conjointement à l’authenticité comme qualité substantielle, à une vaste
littérature, et nous renvoyons bien sûr plus particulièrement à nos articles
déjà anciens à la Revue trim. de droit civil (Sirey) et à la Semaine
juridique, éd. générale et à leurs notes (réf. intra Code civil
Dalloz ou Litec) ; car ce cadre conceptuel que nous supposons ici dans nos
analyses peut demeurer intégralement inchangé ; la matière qu’il
recouvrait n’a guère fait l’objet d’évolutions significatives, en termes légaux
ou jurisprudentiels, ni même de controverses particulièrement originales, en
termes doctrinaux. Mais c’est l’idée de protection patrimoniale qui semble
avoir fait progresser la réflexion dans d’autres voies ouvertes à une dimension
à la fois historique et comparative, et de droit public et fiscal ; de
même, une nouvelle approche, parallèle sans doute à celle qu’entretient le
souci naturaliste et écologique, tend aussi à internationaliser de plus en plus
le débat et prend mieux en considération les acteurs privés, institutionnels et
professionnels dans leurs relations à des biens redéfinis dans leur
immatérialité (voir les travaux publiés aux éd. du CNRS sous la forme
d’actes de colloques, de tables ronde ou de dictionnaires du CECOJI à Ivry,
dirigée par notre collègue Marie Cornu ; ainsi que le vol. 43 des Arch.
de ph. dr., 1999, Sirey : « Le droit et
l’immatériel » ; et la thèse de doctorat en cours d’A. Vaivade (Riga)
au Centre de ph. dr. de l’Univ. de Bordeaux Montesquieu sur l’axiologie
qu’implique la notion même de patrimoine immatériel, intellectuel et culturel
en lien avec l’Unesco et la comparaison entre trois pays : Lettonie,
France et Suède).
Voir
également sur le rapport entre l'esthétique et le droit, notre Métaphys. et
éthique au fondement du droit, Bière, 1995, et notre Droits premiers,
Bière, 2001, passim ; et le vol. 40 des Archives de ph. dr.,
Sirey : "Le droit et
l'esthétique", 1996.
Le
problème socio-anthropologique ou socio-politique de la vente d’œuvres d’art et
de la détermination même de leur authenticité dans un contexte professionnel
mettant en évidence les conflits de compétences ou dans celui plus
« consumériste », révélant autant les attentes déçues que les
exigences par exemple de « traçabilité », a été souvent traité par
ouvrages, essais, monographies ou thèses (même de juris-sociologues) ;
mais cette production, souvent passionnante certes, se situe dans une
perspective qui tient entre parenthèses la validité ou la justice du critère
retenu par le juriste en fonction même de la lecture philosophique du réel ou
de sa représentation (idéalisme) dont il est tributaire ; ce qui la
rend relativement inutile pour aborder cette seule question que nous entendons
poser.
Quant
à la provenance et à l’origine à strictement parler, qui alimentent tant de
controverses et commentaires au sujet des trafics et pillages internationaux
d’œuvres d’art, elles n’entrent guère dans notre champ, car elles relèvent d’un
contrôle préalable et de l’efficacité même d’un système policier et donc d’une
bonne volonté politique, plus que d’une protection répressive a posteriori
; et elles n’affectent pratiquement jamais le marché des ventes
habituelles par les professionnels authentiques malgré un incessant besoin journalistique
pourvoyant les phantasmes collectifs ; le mal de désinformation commis par les
médias (et de violation éhontée du secret de l’instruction criminelle,
profitant de son initialité osera-t-on dire à charge plus qu’à décharge)
apparaît en proportion inverse à un statut douteux qui les protège contre une
élémentaire responsabilité, échappant à toute remise en cause ou poursuite à
caractère juridique sous le prétexte d'une bien discutable liberté d'expression
si elle n'assume pas corrélativement une déontologie précise ou de simples obligations de moyens
sanctionnables qu’elles soient de vérifications pour les allégations les
plus extravagantes qu’ils proposent à la curiosité de leurs lecteurs ou
spectateurs ou qu’elles visent le consentement minimum requis des personnes
qu’elles citent en portant atteinte sans preuve à leurs droits fondamentaux. Il
est vrai que comme l’avait écrit un journaliste actuellement très réputé à
l’encontre de jeunes journalistes du Water Gate en Amérique, l’idéal du journaliste
est de plaire à une opinion mais pas de rechercher la vérité à tout prix (sic).
Certains, heureusement, peuvent opiner différemment.
Un
exemple que l’on pourra juger innocent et qui n’attisera aucune polémique. L’on
a lu chez un éminent spécialiste interviewé et relayé par diverses presses que
des tablettes cunéiformes avaient été volées en quantités énormes en Irak et
que le marché international le plus officiel et contrôlable (catalogues de
ventes ou de galeries) en avait été inondé de plusieurs milliers pour des
sommes d’au moins à cinq chiffres : or, ledit spécialiste était bien placé pour
savoir (puisqu’il se faisait rémunérer à traduire des tablettes pour de grands
experts) que le mot « plusieurs » était de trop, en présence de vieux
fonds circulant ne serait-ce que successoralement depuis des générations et
dont l’inventaire peut correspondre à un dossier peu épais dont les mêmes
numéros n’en finissent pas de repasser cycliquement, et qu’en fait de somme à
cinq chiffres le chiffre trois eut été déjà largement préférable ; il en va de
même d'ailleurs des céramiques à figures rouges de Grande Grèce qu'achetaient
déjà les Romains aux descendants des "Graeculi" de souche ou
que l'on prisait à la cour de Louis XIV et le monarque lui-même en était féru
auprès de familles napolitaines ou syracusiennes les possédant depuis des
lustres et les revendant parfois à bas prix, avant même que des officiers
français en poste sous l'Empire n'essayent d'en acquérir à leur tour, laissant
supposer aux esprits non avertis d'aujourd'hui qu'un commerce n'avait commencé
qu'au lendemain de la Révolution.
Par
contre, la connaissance s’impose sans doute du droit de l’expertise qui, le
sait-on, ne lie pas plus le juge en droit pénal qu’en droit civil, ou
l’arbitre en matière plus commerciale et internationale, ce qui supprimerait
sinon l’autonomie de toute appréciation judiciaire ou arbitrale fondée sur des
valeurs propres et qui n’entendent trancher aucun affrontement d’intérêts entre
les parties (comp. avec notre art. « Loi de rétention de sûreté et
philosophie criminelle », cette revue, mars 2008 ; et voir, au-delà
des éléments techniques que chacun puisera dans son Jurisclasseur, les
actes restés classiques, pour les principes qu’ils dégagent nettement, du Colloque
des Instituts d’Etudes Judiciaires d’Angers, éd. 1995, Observations
finales F. Terré, p. 131 s.). Enfin, nous ne pouvons faire état plus
explicitement de certaines affaires visées à travers ces lignes très
informelles mais qui recouvrent des exemples parfois confondus, afin d’éviter,
dans un domaine où les sensibilités sont rapidement exacerbées, de sembler
introduire un jugement qui diviserait plus encore les opinions émises sur des
faits relatés dans la presse spécialisée du marché de l’art ou qui remettrait
en cause des décisions judiciaires ou des sentences arbitrales toutes récentes,
alors que certaines procédures sont en cours, même s’il est usage, bien
naturellement, de s’y attaquer et de les soumettre universitairement à
critique.
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© revue
de la B.P.C. THÈMES I/2009, mise en ligne le 8 juin 2009