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mise en ligne le 19 septembre
2011
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Philosophie et
théorie du droit naturel
chez Jean Dabin[1]
par Aurélien Dupend (*)
Introduction
A celui qui n’aurait l’occasion de ne lire que
quelques lignes de l’œuvre de Jean Dabin, on peut conseiller celles qui
justifient le titre même de l’ouvrage de 1969 « Théorie générale du
droit ». Ces pages, dans leur esprit, synthétisent la position et la démarche de l’auteur sur les rapports
entre droit positif et droit naturel, dans leur élaboration et leur contenu.
Mais surtout, cette posture de départ est redéployée dans chacune des
problématiques soulevées. Celles qui touchent, selon l’auteur, à la finalité,
la fonction, la structure et procédés techniques de construction du droit. Le
choix même des termes préjuge d’un traitement spécifiquement théorique sur
lequel vient se poser une dimension philosophique[2].
Dabin nous explique l’écart entre théorie du droit et
philosophie du droit à travers, notamment, la tendance de cette dernière à
disserter sur un droit « dépouillé de son aspect technique, sous
prétexte d’en mieux atteindre l’essence »[3]
. L’ensemble de la justification proposée contient en elle les germes
explicatifs de sa démarche ultérieure. Celle-ci agit comme un mouvement global
sans être un unilatéralisme méthodologique. C’est la notion d’objet, de chose
qui est fondamentale ; surtout ce à quoi elle renvoie à partir de ce
qu’elle est. Ainsi, Dabin nous dit : « à l’effet que la philosophie
du droit ne risque de perdre le contact avec son objet immédiat pour se
dissoudre dans la philosophie pure, nous avons choisi […] l’intitulé de théorie générale du droit »[4].
Mais, et c’est là un trait caractéristique de son œuvre, Dabin vise un juste
milieu, un équilibre par lequel les donnés modernes s’incorporeraient dans un
tout selon une direction imprimée. D’une part, il précise que cette théorie
doit être entendue comme une exploration en profondeur, vraiment philosophique
du concept de droit. On remarque au passage les liens opérés entre théorie,
philosophie et concept, qui sont eux-mêmes établis en fonction d’une grille de
lecture théorique[5]. D’autre
part, la prise en compte de l’objet ne se réduit pas totalement à l’objet
lui-même comme unité. A ce titre, la position de Del Vecchio sur la philosophie
du droit comme branche de la philosophie doit être bien comprise, c’est-à-dire
non dans le sens où elle emporterait le corollaire que le nombre des branches
de la philosophie serait égal à celui des objets qui se prêtent à une réflexion
philosophique[6].
On est donc dans la prise en compte d’un objet sans se
limiter à l’objet, c’est-à-dire en référence à un être, mais sans rentrer
spécifiquement dans un discours sur l’être. On se situe effectivement sur un
terrain théorique non totalement fermé sur lui-même horizontalement car innervé
de considérations sociologique, politique et économique. De ce point de départ
découle une approche critique, qui sera la même tout au long de son œuvre,
relative à la tension entre deux modes de pensée : une théorique et une
philosophique. La jonction de deux domaines à partir de ce qui apparaît et non
de ce qui est. D’où des articulations entre les notions, construites sous les
méthodes théoriques. Autrement dit, d’un point de vue d’une théorie, l’œuvre
est structurée sur un niveau unique où les données sont extirpées de leur
milieu pour celui d’un plan qui les égalise dans un ordre des valeurs. La
philosophie, selon son souhait, peut s’intégrer dans le droit positif au profit
d’un usage pratique. Mais elle perd sa substance par la même occasion puisque,
par principe, elle est rétive à couper la valeur des valeurs, autrement dit
leur être[7].
Les inspirations multiples des écrits de Dabin, par
lesquelles se retrouvent les autorités positives, naturelles, religieuses et
politiques, correspondent à la reproduction, en quelque sorte, des tensions que
connue l’Europe à la fin du 19e siècle et au début du 20e
siècle. Plus particulièrement, et pour marquer l’importance d’un centre
intellectuel tel que Louvain, c’est le moment de réceptions multiples entre le
positivisme[8], les
institutionalismes français et italien[9],
les résurgences kantienne et hégélienne, les mouvements réalistes et
pragmatiques américains, les théories antiformalistes[10]
ou le renouveau scolastique. Ce dernier apparaît notamment sous la forme
thomiste[11] dont les
études ont vivifié la pensée de Dabin.
La présence de la pensée de s. Thomas d’Aquin est nette dans
chacun des domaines étudiés : traits distinctifs de la règle de droit,
caractères de la règle de droit, contenu du droit, élaboration de la règle de
droit, droit naturel et justice[12].
Pourtant on peut s’étonner de la faible présence d’un Francisco Suarez dont
l’influence semble, malgré tout, plus prégnante. La proximité entre Suarez et
Dabin est bien plus prononcée, déjà par l’orientation vers des buts pratiques[13],
par le choix d’opter pour des solutions intermédiaires, d’équilibre entre des
principes. Comme le dit Michel Villey : « c’est un peu de cette façon
que j’imagine Suarez opérant son travail de mélange de la philosophie de Saint
Thomas avec celle de Scot ou d’Occam ; mais un mélange où, quant au fond,
le nominalisme prédomine »[14].
Chez Dabin, on a bien un vocabulaire thomiste mais dont le sens s’en détache au
profit d’un trans-positivisme qui semble réduire l’être à un être statique[15].
L’être est ce qui existe réellement et actuellement[16],
il n’y a plus en lui d’inclination dynamique. « Il n’y a plus en lui la
valeur mais la valeur et le bien sont des qualités qui se surajoutent à
l’être »[17]. Dans son
ouvrage de 1969, une seule référence est faite à Suarez[18]
à propos des gradations proposées entre principes premiers et les couches
successives des préceptes seconds.
Les différents droits naturels
L’expression « droit naturel »
nécessite des précisions pour comprendre son sens véritable. C’est une notion
floue qui n’a pas connu d’unité tout au long de l’histoire car il n’est pas un
droit naturel sur lequel tous les auteurs se seraient accordés avec
enthousiasme au cours des siècles[19].
Bien au contraire. Les plus contempteurs du droit naturel pourraient bien dire
qu’il y a eu autant de versions différentes du droit naturel qu’il y a eu
d’auteurs dans l’histoire des idées. Cette remarque se vérifie si on énumère
les différents jusnaturalismes : réaliste, idéaliste, fondés sur la nature
des choses ou celle de l’homme, chrétien, transcendant, immanent, logique voire
à contenu variable. Devant la diversité de références qu’implique le droit
naturel, on peut très bien s’interroger sur la réelle utilité de cette notion.
Cette pièce de musée doit-elle rester dans l’ombre comme le souligne Paul
Amselek ou en avons-nous besoin ? Ce doute sur le droit naturel est
partagé par un grand nombre de positivistes qui se sont lancés dans de
nombreuses attaques sans pour autant réussir à repousser cette vague qui
revient imperturbablement là on avait tenté de l’en extraire. Hans Kelsen voit
le droit naturel comme un anarchisme idéal et Roscoe Pound le compare à une
simple fiction. Malgré tout, force est de constater que le positivisme,
principal opposant au droit naturel, n’a pas su répondre à la question
lancinante du fondement du droit. De là, certains auteurs ont tenté de lier ces
deux systèmes avec plus ou moins de réussite dans un courant qualifié de
transpositiviste, où l’on retrouve principalement Georges Ripert, Paul Roubier
et Jean Dabin.
Pour Dabin, le droit naturel « dérive de la nature des
choses – en l’espèce, de la nature humaine » , « c’est dans la nature
humaine, spirituelle et corporelle, dans la chair et dans l’esprit de l’homme
que se trouve gravée la loi de sa conduite, les principes directeurs de toute son
activité »[20]. De plus,
il précise que « dans l’homme, doué de raison, la loi naturelle se confond
avec la raison elle-même »[21].
Si on y ajoute le tableau du christianisme en arrière plan, on obtient une
première esquisse du positionnement de Dabin. Suivant Sertillanges[22],
Dabin relie la nature et la raison mais sans limiter l’une par l’autre. De ceci
découlent deux remarques. D’une part, l’unité de la nature de l’homme apparaît,
ce qui lui donne une dimension supplémentaire[23].
D’autre part, la raison occupe une place primordiale sans forcement
correspondre à la position thomiste initiale, du fait de l’évolution
terminologique issue d’un nominalisme puis d’un cartésianisme. Sur ce point,
Heinrich Rommen est plus incisif du fait même d’en référer à l’être comme point
de départ. Respectant une chronologie dans l’ordre des termes, Rommen indique
que « le droit naturel dépend de la philosophie de l’être, de la
métaphysique. C’est pourquoi tout essai qui vise à donner un fondement
rationnel au droit naturel doit s’appuyer sur les rapports essentiels de l’être
et du devoir, du réel et du bien »[24].
Autrement dit, Dabin a construit une théorie quasi-ouverte,
lui offrant une certaine hauteur. Mais, se maintenant dans une théorie, il ne
s’interroge pas sur l’être des notions dont il use telles que la raison, la
morale. Il use de préconceptions, sans les mettre devant un tribunal critique.
Ontologie
En débutant une recherche à partir d’une
ontologie, ce n’est plus le droit naturel qui est en question mais les
mécanismes logiques qui conditionnent un certain type de lecture de l’être et
donc des choses. Et ce, dans un certain cadre où les notions s’interprètent et
se comprennent relativement les unes aux autres. La grille de lecture
s’apprécie selon le subjectivisme, l’objectivisme, le réalisme ou l’idéalisme.
Le mode employé pour lire l’être se redéploie dans toutes les définitions et
justifie la structure du droit. Dès lors, partir d’un sens du droit naturel qui
vise la nature de l’homme sans préciser les mécanismes logiques qui impliquent
une direction, une fin, c’est adopter une méthode descriptive de l’apparence
des notions puisqu’elles ne peuvent véhiculer que l’image d’un cadre (une
définition) sans direction. Dans ce cas, le droit tel qu’il est peut tout de
même être atteint, correctement décrit, mais il ne l’est presque que par
contingence plutôt que pas nécessité.
Certes, Dabin emploie le langage de l’être :
« tandis que, dans le droit naturel, le devoir-être (sollen) de la règle est fondamentalement lié à l’être (sein) qui porte tout être humain vers
l’accomplissement de son bien final naturel »[25].
De même, la nature humaine est considérée comme identique en tout homme, que
ses indications ont valeur universelle
et immuable dans son essence[26].
Reprenant un langage thomiste, Dabin parle également de matière (hule), d’inclination, de substance[27].
Cependant, l’articulation des notions entre elles, sous l’angle de la théorie,
n’est, à notre sens, qu’une des étapes propres à révéler l’authenticité du
droit naturel. Il n’en demeure pas moins que les références doctrinales de
l’auteur comblent pour bonne partie ce manque. On pense notamment à Coïng et
Fechner pour le renouveau allemand de la valeur comme dépassement de la forme.
De même, Viktor Von Cathrein, Alfred Verdross et Johannes Messner comptent
parmi ses influences. Pour la France, on évoquera notamment Maritain, qui, dans
le cadre de la nature de l’homme, assoit une ontologie et poursuit l’homme
jusqu’à la personne. Mais finalement, ce constat n’appelle pas consécutivement
un reproche immédiat car, en un sens, il évite l’écueil de déterminations
finales erronées. Il se maintient sur un certain plan, celui qu’il avait défini
dès l’entrée de son ouvrage.
Si un discours ontologique n’est pas présent chez l’auteur,
un certain dynamisme de l’être est présent[28].
Il ne se contente pas d’un être statique, même si toutes les conséquences n’en
sont pas tirées - ce qui réduit la portée de la critique de Villey. Ainsi,
concernant la nature de l’homme, Dabin ne se limite pas à une vision réduite de
la raison et critique même le droit naturel moderne qui tend à se fonder
uniquement sur la raison comme moyen d’atteindre le droit naturel ; de
cette « raison abstraite qui travaille sur un homme abstrait »[29].
Pourtant ce dynamisme de l’être est en partie réduit dans le
cadre de la considération de la règle de droit puisque « le droit n’est ni
ce qui est juste, ni le droit subjectif, mais la règle de droit »[30].
Autrement dit, la justice se dissocie du droit et n’apparaît plus comme
l’essence du droit mais plutôt comme une qualité. La question quid est devient celle de qualis est[31].
La justice, vertu constante de rendre à chacun ce qui est le sien, est une
mesure qui n’est plus dans le droit mais à côté du droit. Sur ce point Javier
Hervada a montré le rapport entre droit et justice : « il existe une
relation entre le juste - le droit - et la loi. La nature de la loi nous montre
cette relation : la loi est une règle, mot qui signifie la même chose que
norme ; et une règle est une mesure. La loi est règle du juste, du
droit »[32].
Dabin, suivant un mouvement antérieur, dissocie le droit et
le juste et ajoute que contrairement à la justice, la règle de droit
réclame une obéissance matérielle du sujet sans nécessité d’adhésion
intérieure. Ce sont les prémisses d’une dissociation encore plus grande dont
l’aboutissement est déjà ancien, comme chez Duns Scot pour qui l’action devient
bonne parce qu’elle est commandée. Dabin ne va pas jusque là mais son approche
en contient les germes.
Traditionnellement, la juste mesure, medium entre l’excès et le défaut, est l’objet de deux voies :
l’une mathématique, l’autre dialectique. Ainsi, l’art du juriste consisterait à
établir une règle de droit conduisant à une certaine justice. Or le traitement
théorique des données tend à privilégier une approche mathématique, typique des
calculs de performances du droit dans un milieu donné au moyen d’appréciation
fondées sur des ordres de grandeurs. Elles « saisissent quelque chose de
l’être comme un rêve »[33].
La dialectique, au contraire, remonte vers un principe opérant ; elle
« s’occupe de la génération vers l’essence »[34].
Les types de règles juridiques
Pour Dabin, la validité prend une importance
au moins égale au juste dans la règle de droit d’où une tendance formaliste
sans que la validité ne soit écartée pour cause de désobéissance. La justice ne
doit pas être mal comprise. Elle est d’abord une vertu morale[35]
et ne saurait être réduite à une justice juridique. Cette dissociation, qui
fait écho à celle du droit moral et du droit juridique[36],
fonctionne comme pivot du débat sur la notion de « droit » entre
Carré de Malberg, Duguit et Hauriou. Hauriou, en opposition avec l’idée de
Carré de Malberg - pour qui le droit dérive uniquement de l’État - distingue
droit de la liberté primitive droit de l’État. En fait, pour Dabin, ce droit de
la liberté primitive correspond au droit moral. Abandonnant cette distinction
au profit d’une différenciation entre droit commun et droit disciplinaire,
Hauriou tente encore de justifier la « pré-existence » d’une partie
du droit qu’il fonde sur la sociabilité de l’homme. Dabin conteste cette
position qui, à son sens, exclue la communauté étatique ainsi que l’outillage
technique du droit[37].
La technique juridique d’élaboration des règles de droit est
au centre de l’œuvre de Dabin. On la retrouve partiellement dans sa critique
notamment faces aux règles normatives et constructives de Duguit qu’Henri de
Page rapproche du donné et du construit de Gény[38].
Dabin précise que « si les règles normatives impliquent voie de droit,
c’est-à-dire construction, et les règles constructives une certaines façon de
procéder, c’est-à-dire norme, la distinction s’évanouit »[39].
Droit naturel moral – droit naturel juridique
Avant de se pencher sur le contenu du droit naturel, il faut
s’attarder sur la possibilité offerte à l’homme de pouvoir connaître et
appréhender le droit naturel. La loi naturelle ne ressort pas de l’analyse
rationnelle mais davantage de la connaissance par l’évidence, d’une connaissance
immédiate[40]. Sur cette
idée, s. Thomas parle d’une connaissance par inclination, mode particulier de
connaissance, qui diffère de la connaissance simplement rationnelle, inapte à
saisir seule la loi naturelle. La connaissance par inclination est
« une connaissance obscure, non-systématique, vitale, qui procède par
expérience tendancielle ou « connaturalité » et dans laquelle
l’intellect, pour former un jugement, écoute et consulte l’espèce de chant
produit dans le sujet par la vibration de ses tendances intérieures »[41].
C’est de cette manière que la conscience de chacun pourra progresser et
s’affiner[42]. Tous n’ont
pas cette vision des choses. Ripert, par exemple, y voit un exercice quelque
peu stérile[43]. Dabin,
lui, ne voit de difficulté dans cette
recherche que si l’on se méprend sur ce qu’est le droit naturel et notamment si
l’on recherche « le contenu d’un droit naturel juridique qui n’existe
pas »[44].
La morale est un des points sur lequel Dabin insiste le plus[45].
Pour le Professeur de Louvain, ce qu’on a toujours demandé au droit naturel, ce
sont des principes de conduite morale[46].
Il précise que le droit naturel est bien la loi morale prise dans la totalité
de ses matières, sans en excepter la partie institutionnelle, mais limitée aux
indications de la nature. Celle-ci est le fondement en attente des
développements procurés par la loi morale positive et par le travail
scientifique des moralistes[47].
Pour Dabin, il n’existe pas de droit naturel juridique. En
effet, une caractéristique du droit positif est la coercition qu’il impose par
le biais des organes étatiques. Or le droit naturel n’est pas le droit positif.
Il ne contient pas de système de contrainte « naturelle » au-delà de
toute référence à une force supérieure qui s’imposerait. Le centre névralgique
de l’étude et de l’apport de Dabin est la distinction entre droit naturel
juridique et droit naturel moral, opérée par Gény dans Science et technique en droit positif[48].
Pour Dabin, il n’y a de droit juridique que muni de contrainte publique. Par conséquent,
accolés l’un à l’autre, les deux épithètes « juridique » et
« naturel » tendent fatalement à s’exclure[49].
L’auteur étend même sa critique contre l’hypothèse d’un droit naturel
spécifiquement juridique de Hauriou, séparé de la justice elle-même, pour
lequel le droit naturel ne devient qu’un idéal achevé de juridisme[50].
Un droit naturel juridique implique davantage une règle
créée par l’homme visant des choses utiles à la vie. La conception utilitariste
prend le pas dans une sorte de droit idéal pour le développement économique ou,
en tout cas, matériel de l’homme. Ce sens matérialiste va de pair avec la
déviation moderne du mot « nature » qui se perd dans un sens où toute
finalité est effacée. Le droit naturel implique avant tout le juste et non uniquement
l’utile et le contingent. C’est une déviation subtile qui s’est produite dans
les consciences, en même temps que le positivisme. La recherche d’un droit
« parfait » a poussé Dabin à interpréter le droit naturel comme un
droit idéal - mais d’un idéal subjectif impliquant relativité. Ce droit naturel « idéal » connaît
donc autant de définitions que de personnes, où se mêle le juste, l’utile et
l’agréable. Ainsi, certains ont recherché, non pas un ensemble de principes
généraux, mais des règles précises et idéales aussi bien qu’universelles,
applicables à des cas précis[51].
Bref, on peut presque apercevoir dans cette conception un « Code du droit
naturel » écrit dans un langage juridique[52].
Dabin observe que dans cette optique « le droit naturel des moralistes est
devenu le droit idéal des juristes »[53].
Sur ce point, il va critiquer Stammler pour prouver que la confusion opérée par
une modification du langage conduit à favoriser les amalgames et les
contresens. Cette argumentation se retrouve également vis-à-vis de l’expression
« droit naturel à contenu progressif »[54]
de Renard. C’est un « contenu progressif » qui se rapporte à une
vision purement juridique et non pas morale. Pour Dabin, le contenu des
premiers principes est toujours le même en droit naturel ; il est moral.
Mais son contenu – ses applications comme préfère le dire Dabin à la place de
contenu – est variable. Bref, ces déterminations contingentes sont contenues
dans le droit naturel, mais n’en forment point le contenu. L’erreur de Renard
serait ainsi de vouloir s’approcher d’un droit naturel juridique inexistant, de
tenter de mettre des déterminations contingentes dans le contenu même du droit
naturel, d’où les difficultés auxquelles il doit faire face[55].
Ainsi, le droit naturel est vu par certains auteurs comme
général et n’offrant que des principes inutilisables tels quels, pour la
plupart d’entre eux, et nécessitant des règles humaines pour les cas précis. Le
droit naturel fait référence à des principes de droit, en fait, des principes
de morale et de politique[56].
A la question : « le droit naturel est-il le principe directeur de la
morale ou celui du droit ? »[57],
Dabin conclut que le droit naturel se confond avec la loi morale. Selon Villey,
le droit naturel de Dabin ne sert que d’orientation pour le droit, il est le
fil rouge que l’on doit suivre, mais il n’est pas du droit[58].
Dabin répondra en retour que le droit naturel de Villey n’est qu’une simple
méthode.
On le voit, Dabin oriente inlassablement de droit naturel
vers la morale. En cela, il approuve le chemin pris par Ripert qui, lui aussi,
tend à critiquer l’idée d’un droit naturel juridique. Cependant, Ripert va plus
loin en jetant le doute sur la morale également et, par voie de conséquence,
indique un doute sur tout droit naturel moral. En cela, Dabin s’oppose au motif
que ce serait « contester l’aptitude de la raison humaine à discerner des
règles morales les plus élémentaires »[59].
Les conséquences de l’existence d’un droit naturel moral au détriment d’un
droit naturel juridique ont une influence importante sur le contenu même du
droit naturel. En effet, le droit naturel juridique n’existant pas, on est dans
l’impossibilité d’y voir le moindre principe premier. L’exercice s’avère
beaucoup plus simple si l’on se réfère à la moralité[60].
S’attacher à rechercher un droit naturel juridique conduit
invariablement à rechercher un droit idéal en tant qu’il s’accorde avec notre
volonté et pas seulement avec le juste. Ceci laisserait place à toutes les
dérives issues des erreurs de notre raison. Alors que s’en remettre à la
moralité, c’est faire appel à la connaissance par inclination, seule
véritablement apte à nous éclairer sur les principes premiers.
Dabin accepte l’idée d’un droit naturel politique qu’il
fonde sur le caractère politique de l’homme. Ce droit naturel politique se
situe en amont de toute société politique, mais reste plus ou moins soumis au
droit naturel moral puisque ce dernier touche l’humain dans sa totalité. Malgré
tout, le droit naturel politique annonce un ensemble d’institutions tournées
vers un bien public à atteindre. Ainsi, lorsque Gény se demande quelle est la
base de l’Etat, Dabin soutient qu’il n’est nul besoin d’un quelconque droit
naturel juridique car le droit naturel politique suffit à légitimer l’Etat. De
même, à la question de savoir comment agir face à des lois injustes, Dabin
évoque le droit naturel politique associé à une technique d’élaboration du
droit[61].
Cette distinction entre droit naturel juridique et droit
naturel moral résulte, à notre sens, de ce choix initial d’une théorie qui
place arbitrairement les choses sur un même plan fixe, car elle se contente de
l’objet, de sa définition mais sans approfondir jusqu’à une essence. Si Dabin
vise un contenu - la morale - il ne démontre pas le processus de constitution de
ce contenu, c’est-à-dire le mouvement qu’implique la nature et l’être sous
cette nature avec les différentes lectures possibles de cet être qui permettent
de déterminer les choses - justice, État, règle de droit - et leur valeur
inhérente.
Droit positif
Pour Dabin : « la matière propre de
la science juridique n’est pas l’idéal de justice, mais la règle
positive »[62]. Par cette
affirmation, Dabin montre tout l’intérêt qu’il accorde à la science juridique et
à la distinction entre idéal de justice et règle positive. Bref, sa théorie se
veut applicable dans une société imparfaite, c’est-à-dire non la caricature
d’une société. Il voit une société en mouvement, autrement dit réelle, où
l’idéal sociétaire est envisagé mais seulement après avoir pris la société
telle qu’elle est. Par suite, est envisagée une théorie valable dans une
société qui a besoin de lignes directrices et non dans ces sociétés utopiques
qui, si l’on raisonne correctement, n’ont pas besoin de théorie. Ces dernières
sont figées dans une évolution continue, régulière et réfléchie au contraire
des sociétés « vivantes » dont la croissance est discontinue, soumise
aux méandres de l’histoire et surtout confrontée à divers excès. Néanmoins,
c’est bien la société de type occidentale qui est envisagée notamment avec un
fondement chrétien en arrière plan. Ceci qui pourrait laisser sceptique quant à
l’application d’une telle théorie dans des pays soumis à d’autres influences
religieuses[63].
Pour pallier cette relativité dans les mouvements humains,
la méthode positive constitue une enveloppe solide, apte à encadrer le hasard
impalpable auquel sont soumises les sociétés. Et, ce qui fait la qualité d’une
théorie, ce sont sa cohérence et son harmonie. L’importance du droit positif
est la mise en lumière de l’élément sous-jacent qu’est l’ordre d’une société.
L’homme étant un être social et rationnel, plus que d’un ordre, on parlera d’un
ordre social. Le droit positif se doit de réguler les rapports des hommes entre
eux pour éviter tout conflit de nature à créer un trouble néfaste pour le bon
fonctionnement de la société. On retrouve
Hauriou pour qui « le droit est une sorte de conduite qui vise à
réaliser à la fois de l’ordre social et de la justice »[64].
Cet ordonnancement social montre ici la grande valeur donnée à la communauté
qui seule peut permettre le développement de chacun dans son individualité. Sur
ce point, pour Dabin, une obéissance est due au droit positif car c’est la
condition sine qua non de la bonne marche d’une communauté. Ainsi, il n’est pas
possible d’y échapper par absence de conviction quant à la légitimité du droit
posé[65].
L’un des intérêts que porte Dabin au droit positif est dû à son efficience. En
effet, la règle posée doit trouver à s’appliquer dans la société malgré les
résistances et les ruses de ceux qui veulent s’y soustraire[66].
Ainsi, la règle positive doit être claire, précise, rigoureuse pour pouvoir
être appliquée et s’imposer à tous, au besoin par des sanctions, dans le but de
maintenir l’ordre social.
Les contraintes liées à l’élaboration technique du droit
Comme nous l’avons déjà évoqué, Dabin place le
droit positif au centre des débats. Pour lui, la règle juridique est un
construit qui est l’objet d’une technique[67],
autrement dit, le droit positif n’existe pas en dehors d’une activité créatrice
de l’homme[68]. Le sens du
mot « technique » doit être pris, non en tant qu’ensemble de
procédés, mais comme résultat dont la technique serait au service[69].
Ainsi, Dabin est quelque peu gêné sur le terme de « technique »
lui-même qui ne lui sert que pour s’opposer au mot « science »[70]. La technique favorise une construction
raisonnable du droit, car il estime que « la détermination du contenu du
droit […] relève […] de la prudence politique, plus spécialement encore de la
prudence juridique »[71].
Ce rapport entre le donné et le construit, Dabin critique
principalement les thèses de Duguit et de Gény. Ce dernier adopte une position
nuancée en admettant « que donné et construit se mélangent et s’entrecroisent
pour fournir à la vie juridique toutes les directions nécessaires »[72].
Or Dabin nous dit : « à notre avis, ni l’une ni l’autre [les thèses
de Duguit et de Gény] ne peuvent être retenues, ce qui nous amènera à la
conclusion que le droit – le droit positif – n’est pas construit seulement pour
partie, mais pour la totalité »[73].
Cependant, il ne renie pas toute idée d’un donné et surtout d’un donné du droit
naturel.
Cette vision des choses est assez logique au regard de la
position qu’adopte Dabin sur le travail du juriste. Le juriste a un rôle à
jouer dans l’élaboration du droit et il ne peut pas être passif comme le
postule une « doctrine de tout repos »[74]
affirmant que le droit serait donné.
Toujours dans sa logique de rejet d’un droit naturel juridique,
Dabin condamne l’hypothèse d’un donné juridique qui apparaîtrait à travers le
prisme du droit naturel. Or le droit naturel est seulement constitué de
principes généraux qui doivent être précisés au moyen du travail approfondi des
juristes. Et si ce donné est assimilé au droit naturel, d’autres auteurs y
verront plutôt le droit juste[75],
le droit transpositif[76],
le droit suprapositif[77]
ou les faits normatifs[78].
Quoiqu’il en soi, le droit positif est construit.
Pour élaborer le droit, il faut des autorités compétentes.
Dabin relève que « le droit est essentiellement subordonné à la science
sociale et à la politique »[79].
Mais il faut veiller à l’emploi de la terminologie car cette affirmation peut
être grave de conséquences. Tout dépend, en effet, du sens que l’on va donner
au mot « droit ». En tout cas, pris dans une acception erronée, cela
peut conduire à des dérives positivistes en offrant à la règle de droit un
simple fondement volontariste reflétant l’hégémonie d’un pouvoir. Néanmoins, on
peut échapper à cela en précisant que la référence au politique et au social
sous-entend non le droit mais l’élaboration du droit qui est effectivement
« subordonné » au législateur, entendu comme le Parlement,
c’est-à-dire un organe politique. Mais, même dans cette hypothèse, le politique
n’est pas totalement libre car lorsque l’on crée du droit, c’est dans le
respect du droit déjà existant.
L’autorité compétente pour construire ce droit doit répondre
au but qu’est le bien commun. C’est ce bien commun qui est visé et indique la
direction à suivre malgré les nombreux autres critères de construction de
l’ordre juridique. Le droit doit se conformer au bien commun ; ce dernier
doit lui-même être en accord avec la morale : « Il n’y a pas de bien
public contre la morale, parce que la morale est la loi de l’homme et que le
public est composé d’hommes »[80].
Si le droit peut subir des atteintes dans son élaboration pour des raisons de
praticabilité, tel n’est pas le cas de la morale qui perdrait toute sa substance.
De toute façon, il ne serait pas pertinent d’enserrer la morale dans le cadre
d’une technique d’élaboration comme celle que peut connaître le droit. En
effet, le droit demande des règles praticables et efficientes notamment au
regard de la contrainte. Or la contrainte, telle que le perçoit le droit, n’est
pas envisageable pour la morale qui ne connaît pas de contrainte physique mais
une simple obligation en conscience, ce qui fait d’ailleurs sa force dans son
domaine.
Se pose donc le problème de l’intégration de la morale dans
le droit positif. Toute la morale ne peut être contenue dans le droit positif
car imposer une contrainte physique à un précepte moral peut lui faire perdre
toute sa valeur. L’individu agirait à ne pas subir de contrainte physique
plutôt que d’agir dans le but de se perfectionner intérieurement. Une
dichotomie s’opère progressivement dans laquelle le respect tient à la forme de
la loi et non plus à son contenu. Ainsi, Dabin en conclut qu’ « en
définitive, le problème des rapports entre le droit et la morale trouve sa
réponse dans la formule suivante : des règles de la morale le juriste
retiendra celles dont la réception par le droit se révélera en fait, dans les
circonstances, utile au regard du bien public, praticable au regard de
l’outillage technique du droit »[81].
De ceci, on ne peut que donner son accord. En effet, quelle
pertinence peut-on accorder à un droit qui ne s’applique pas ? Cependant,
une dimension supérieure est insuffisamment exploitée. Sous l’angle d’une
ontologie, l’élaboration du droit positif se fait au regard de ce qui est
nécessaire, c’est-à-dire à partir des essences. Ces essences, n’impliquant pas
un déterminisme, permettent de se présenter sous différentes apparences
formelles et ce, sous un même contenu. Dès lors, c’est dans des formes
positives qu’il faut faire jaillir le droit le plus approprié et le plus utile.
Ainsi, on évite l’écueil d’un pragmatisme ou d’un utilitarisme détaché d’une
conception traditionnelle du droit. C’est une ontologie qui n’empêche ni
l’utile ni le praticable. Sans cette précision, c’est l’impossibilité de se
rattacher à l’essence même du droit - le juste - dans le cadre du droit
naturel. La position de Dabin est donc bien celle d’une théorie servant des
notions comme concepts, lesquels doivent être articulés selon leur objet et non
selon l’être de leur objet qui caractérise une nécessité incarnée.
Il s’agit dorénavant de connaître les critères présents lors
de l’élaboration du droit positif : opinion publique,
« faisabilité », efficience potentielle ou encore coût. On se rend
compte que si la prudence est mise en avant lors de toute création du droit,
Dabin ajoute comme également essentiel le critère de l’efficacité. Dans cette
optique, la praticabilité du droit passe par une définition suffisante qui
offrira une certaine sécurité juridique. L’exercice est difficile car il
demande à la fois souplesse et rigueur à la règle de droit. Ceci permettant
d’appliquer la règle de manière large sans pour autant la rendre inefficiente
ou incomplète par un excès de généralité ; d’où la condition nécessaire
d’une certaine précision[82].
Parmi les critères qui importent, on compte celui de l’opinion publique.
Celle-ci fait référence, de manière générale, à un ensemble de concepts dont il
faut tenir compte : la psychologie populaire, la nécessité, l’opportunité,
la légitimité de l’intervention, le sens et le contenu de la réglementation, la
détermination des moyens de contraintes préventifs ou répressifs[83].
Une loi doit être tolérée par l’opinion publique car dans le cas contraire, la
loi provoquerait un trouble contraire à l’ordre justement souhaité par la loi.
Par conséquent, un refus de nature à provoquer un trouble doit conduire le
législateur à s’incliner s’il est impossible d’agir différemment. Néanmoins,
Dabin n’est pas en faveur d’un abandon de sa tâche par le législateur, et il
nous dit : « ainsi, la réaction de l’opinion n’appelle, de la part du
juriste, aucune soumission nécessaire. […] le juriste a le droit et le devoir
d’affronter une opinion publique égarée, et même parfois de songer à la
vaincre, avant que de l’avoir convaincue ! Que s’il lui arrive de céder ou
de transiger, ce ne sera pas parce que l’opinion serait souveraine, mais pour
le seul motif qu’elle aurait la force – et en attendant le jour de la
revanche »[84].
Le bien commun temporel
La recherche du bien commun est d’une
importance capitale dans la compréhension de la théorie du Professeur de
Louvain. Celui-ci distingue d’ailleurs la communauté de la société par le fait
que cette dernière regroupe des individus associés dans la recherche d’un but
commun, alors que dans une communauté les individus ne partagent que certains
traits communs dans leur existence. Ainsi le bien commun trouve à se réaliser
dans et par la société politique[85].
Cette recherche d’un bien commun n’est pas contemporaine de
Dabin, elle possède son propre vocabulaire et ses références. Il n’est pas
question de sous-estimer son caractère essentiel. Par exemple, pour le Baron
d’Holbach, « l’apathie, l’indifférence pour le bien public ne peuvent être
des vertus que dans les esclaves ; elles n’en sont pas pour l’homme de
bien qui doit s’intéresser au bonheur
de sa patrie »[86].
Dans ce cas, on ne peut s’empêcher de réfléchir à ce qu’est ce bien commun et
vers quoi il tend. Francis Bacon imprimera dans l’idée de bien commun le
bonheur des citoyens[87],
Pufendorf y verra le bien du peuple[88],
tandis que Locke privilégiera la liberté[89].
Par ces visées divergentes, on comprend que l’on est en présence d’une notion
floue et multivoque qui demande à être précisée. Ainsi, Dabin explique qu’il
existe un bien commun politique qui s’attache particulièrement au bien de la
société. On trouve également un bien commun humain se rattachant au bien commun
politique et érige l’homme en fin[90].
L’homme dont on parle n’est pas pris en compte parce qu’il appartient à tel
groupe social ou tel autre, car le bien public vise le public en général, sans
discrimination ou réduction des individus face au bien commun[91].
En cas contraire, on ne pourrait plus parler de bien public mais plutôt de bien
privé avec les dérives inégalitaires inhérentes à la primauté de ce dernier. Il
s’agirait d’une situation où la partie contenue dans un tout prétendrait se
faire passer pour ce tout. Si le bien commun apparaît comme une finalité à
poursuivre, le droit est un instrument à son service et ne saurait être utilisé
à des fins privées. Chez Dabin, la soumission du bien particulier au bien
commun est nette[92]. Mais il ne
faut pas se méprendre sur ce bien commun, qui n’est pas le bien de l’Etat[93] ;
et c’est la raison pour laquelle on parlera davantage d’un bien public que d’un
bien politique, expression tendant à laisser un doute dans l’esprit des
individus[94]. La forme
étatique n’est pas une fin en soi, c’est un moyen nécessaire de parvenir au
bien public. Ce dernier prend tout son sens lorsqu’il constitue la direction à
suivre pour les lois. Celles-ci seront qualifiées de justes si elles sont
guidées par le bien public. Déjà avec Aristote, est « juste ce qui sert
l’intérêt commun »[95].
Malgré tout, lorsqu’on parle de bien commun, il est
difficile de s’accorder sur un même contenu car de nombreuses références
variées peuvent entrer en ligne de compte. Ainsi, le bien commun peut concerner
les domaines économique, moral, intellectuel, physique, individuel, collectif
et international.
Dans le cadre d’une société, le bien commun est l’occasion
de nombreux débats qui contextualisent la pensée de Dabin. Ce bien commun, vu comme
un vivre ensemble, passe par un espace public démocratique selon Habermas qui
développe sa thèse de la démocratie procédurale par une délibération
systématique. Axel Honneth, son élève, issu de la 3e génération de
l’école de Francfort, porte une critique sur cet espace public et « met en
doute la possibilité même d’accession des expériences et des sentiments
d’injustices au débat démocratique »[96].
Chez Rawls, le « voile de l’ignorance » constitue la méthode
d’objectivité par un assentiment global dans un équilibre entre égalité et
liberté. La théorie rawlsienne s’est vue critiquée par Ronald Dworkin, Michael
Walzer ou encore Amartya Sen[97].
C’est surtout l’opposition des thèses communautariennes[98],
multiculturelles[99] et
libertariennes[100]
qui montrent la difficulté d’une ligne commune, propre à répondre à tous les
enjeux d’une société.
Moins sous l’angle politiste et davantage sous l’ancrage
d’une théorie du droit et d’une philosophie du droit, l’œuvre de Dabin
s’inspire de la pensée allemande[101] ;
ce qui caractérise ses multiples références à des courants dont les
inspirations sont diverses, bien que rattachables à un noyau commun. La
tendance phénoménologique de Coïng apporte au droit naturel une nouvelle
coloration dans laquelle il replace les valeurs au centre, dans un inspiration
schélérienne - on pense notamment à l’éthique matériale des valeurs ;
valeurs qui sont des qualités ontiques - et où la notion de « situation
type »[102] relativise
l’immutabilité du droit naturel tel qu’on le trouvait chez Von Cathrein. En
somme, Dabin se situe entre les deux car la morale catholique est une source
qui ne saurait changer en soi mais peut s’adapter au contexte social,
historique et étatique. De même, des rapprochements peuvent être effectués avec
des penseurs Josef Fuchs[103]
ou le suisse Arthur F. Utz[104].
Quant à sa postérité, l’œuvre de Dabin s’est exportée jusqu’au Japon avec Akira
Mizunami de Fukuoka, qui s’inspirera également de l’Autrichien Messner[105],
à l’instar de Taketoshi Nojiri, Hiroshi Takahashi, Ryosuke Inagaki, Johannes
Kazutoshi Sugano et Hideshi Yamada.
Dabin nous dit que : « le bien commun en soi n’est
qu’une abstraction. Chaque peuple a son bien commun particulier »[106].
Néanmoins, « le bien commun aura beau être conçu de la façon la plus
relative et la plus immédiatement pratique, il reste que l’idée de bien commun
implique finalité et appelle, dès lors, une opinion sur le problème des fins de
l’homme »[107].
Cette finalité est en partie morale, ce qui rejoint ses développements
précédents sur toute l’importance de la morale dans le droit naturel.
Il existe des rapports asymétriques entre la morale et le
bien commun car leur existence se situe à des degrés différents. Ainsi, l’ordre
juridique va se calquer en fonction du bien commun temporel mais la morale aura
comme point de mire le perfectionnement de l’homme, qui passe certes par le
bien commun mais le dépasse. De là, on peut en déduire que si le droit naît par
l’entremise du bien commun, tel n’est pas le cas de la morale. Par contre, le
bien commun ne peut passer outre la morale car il en est tributaire. Si le bien
public s’écartait de la morale, il ne serait plus bien public puisqu’il
« n’y a pas de bien commun sans moralité »[108].
Le bien commun censé servir l’homme ne répondrait plus à sa vocation s’il
décidait d’emprunter un chemin immoral voir même amoral en politique car la
politique concerne l’homme et l’homme est régi au moins intérieurement par la
morale.
Au-delà du bien commun temporel se situe le bien commun
spirituel. On ne peut pas vraiment dire que l’un est supérieur à l’autre sans
quoi on risquerait de s’acheminer vers une forme d’exclusivité avec pour
conséquence la négation implicite et subtile de l’un ou de l’autre. L’homme est
esprit et matière, il est donc important de considérer tout le champ de son être.
Plutôt que d’établir une terminologie basée sur la supériorité, il faut
davantage parler d’une différence de degrés. Ainsi, les notions de temporel et
de spirituel existent sur des plans différents où chacun vise l’homme dans une
partie spécifique de son être. Le bien commun spirituel désigne les valeurs
morales - religieuses - qui vont conduire l’homme vers sa perfection d’être.
Ici, sont mises en exergue les valeurs religieuses qui concernent la personne
dans son intériorité, en opposition avec les valeurs plus matérielles de
l’ordre temporel. Le bien commun spirituel va nourrir non pas le corps mais
l’esprit. Si la gestion du bien commun temporel ressort de la compétence de
l’État, il n’en va pas de même avec le bien commun spirituel pour lequel l’État
n’a pas de titre particulier visant à s’en occuper. Le rôle de l’État est
simplement protecteur, car le politique ne saurait d’aucune manière vouloir
contrôler l’esprit des hommes[109].
Cette idée ne doit pas faire l’objet d’une interprétation erronée visant à
rendre toute religion indépendante dans le mauvais sens du terme, c’est-à-dire
hermétique. Cette dérive est celle des sectes qui s’excluent volontairement de
la société. Une religion est un partage entre les hommes dans le cadre d’une
société. Dès lors, on ne saurait exclure la religion de toute dimension sociale
et le bien public religieux trouvera à s’appliquer dans le cadre du bien
public. Et ce bien commun spirituel ne sera pas du ressort de l’État mais celui
d’une autre institution : l’Église[110].
Si « l’État doit s’abstenir d’imposer un système de pensée et de conduite
dont il serait l’inspirateur »[111],
il n’est pas évincé totalement car il se doit de collaborer avec l’Église d’une
part, en réunissant les conditions temporelles aptes à garantir un milieu favorable
au domaine spirituel, d’autre part, en protégeant le spirituel des attaques
potentielles. Et cette protection ne doit pas revêtir un caractère étouffant,
autrement dit, lorsqu’il n’y a pas d’atteinte au spirituel, l’État ne doit pas
tomber dans le zèle sous prétexte d’une potentielle atteinte future, ce qui
cacherait en fait un moyen détourné, mais non moins performant, de contrôle.
L’État doit être au contraire protecteur et non contrôleur. Bref, comme le dit
Dabin, « le problème des rapports entre l’État, gardien du bien public
temporel, et l’Église, responsable du bien spirituel public et privé, se résout
par une distinction des domaines et des compétences certes, mais aussi par une
entraide hiérarchisée en vue de la réalisation du bien total, spirituel et
temporel, des individus membres des deux sociétés »[112].
Importance de la morale catholique
Dans son ouvrage La philosophie de l’ordre juridique positif, Dabin, réserve une
partie non négligeable à la morale catholique. Il la voit comme un moyen de
« préciser, de compléter et de perfectionner les données générales et
abstraites du droit naturel », et ce, en privilégiant la morale catholique
aux moralistes catholiques. Ainsi, réside l’intérêt de la morale catholique.
Puisque le droit naturel est trop général, la morale catholique se propose
d’offrir des règles précises et utilisables par chaque homme dans le cadre de
sa vie. Comme le droit positif a pour objet de venir préciser, compléter le
droit naturel, on remarque donc que la morale catholique et le droit
remplissent les mêmes fonctions, ce qui les lie indéniablement. Dabin souhaite
introduire dans le droit positif des éléments de la morale catholique. Celle-ci
prend ses sources dans la loi naturelle en tant que donnée naturelle mais
également dans les Écritures et notamment l’enseignement du Christ qui apparaît
dans le Nouveau Testament. Dieu est intervenu pour apporter aux hommes la loi
positive révélée, qui s’accorde avec la loi naturelle mais la rend accessible à
la compréhension humaine. De même, le Décalogue offre la connaissance concrète
de certains principes de la loi naturelle[113].
Pour Dabin, il ne faut pas se tromper en qualifiant la morale chrétienne de moralisme. Ce serait un contresens car ce n’est pas le simple effort moral dans la conduite de la vie qui serait recherché. Au contraire, ce n’est pas la morale qui est mise au premier plan, c’est Dieu dans toute son étendue, c’est le don de Dieu. La morale catholique, sans s’opposer à la morale naturelle, a modifié l’ordre des vertus. Si d’une part, Aristote mettait en avant les vertus morales de prudence, de courage, de justice et de tempérance, d’autre part, les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité prennent désormais le pas en ce qui concerne les rapports avec Dieu. Dabin acquiesce quant à la compatibilité entre la morale catholique et la morale naturelle. Ainsi, les règles de la morale catholique gravitent autour du droit naturel en l’enrichissant d’un donné supplémentaire et divin, lui ouvrant les portes d’un niveau supérieur. Mais c’est toujours la personne qui sert de pivot. La morale du Christ reste au niveau de la nature humaine. Le Christ, étant donné la nature de l’homme, ne s’en est point séparé. D’où, par exemple, la qualification d’humanisme chrétien ou de naturalisme chrétien de la morale thomiste. L’avantage indéniable de la morale catholique, pour Dabin, est qu’elle est le fruit d’une longue maturation au cours des siècles qui l’a conduit à poser des règles précises et ayant un fondement variable. Et ce fondement a toute son importance car il va permettre aux individus de comprendre la règle et d’y adhérer dans leur for intérieur. Cette adhésion intérieure marque la réussite d’une règle qui saura trouver son efficience. Elle sera praticable. Toute l’importance que donne Dabin à la méthode d’élaboration du droit coïncide ici, car ce qui est demandé, c’est un droit positif trouvant à s’appliquer dans toute son étendue. Toute la force de la morale catholique réside dans l’absence de concurrence réelle. Alors que la morale catholique peut être appliquée dans l’instant, tel n’est pas le cas de ses concurrents qui n’en sont encore qu’aux promesses. C’est en cela que Dabin voit la supériorité de la morale de l’Église catholique. La compétence approuvée par Dabin est celle de l’Église dans sa doctrine officielle. Elle découle des textes des Papes, des conciles et de manière générale de toutes les sources qui sont incluses dans le dogme officiel. En conséquence, on peut exclure les tendances annexes non officielles de certains moralistes catholiques.
On peut se demander ce qu’apporte de nouveau la morale
catholique par rapport à n’importe quel autre type de morale. En fait, pour
Dabin, la morale catholique vient embrasser la morale naturelle et ne cherche
nullement à l’évincer ou à s’y opposer. La morale catholique approuve la morale
naturelle mais la fait également aller plus loin en y insérant la référence à
Dieu. La morale naturelle apparaît donc conserver toute sa valeur et sa
consistance et ce même si l’ordre des vertus s’en trouve bouleversé. Dabin, qui
se situe dans la mouvance néo-thomiste, doit faire face à un contexte social
différent de celui qui existait à l’époque de Saint Thomas. Si, à cette époque,
la morale religieuse était forte, tel n’est plus le cas dans nos sociétés
contemporaines laïcisées. Par suite, le droit ne s’accorde pas toujours avec la
morale, comme ce pouvait être le cas au 13e siècle. Au contraire, il
arrive souvent qu’il y ait opposition forte - on pense notamment aux questions
les plus sensibles de l’homosexualité et de l’avortement. Se pose donc la
question de savoir si la vision dabinienne peut s’adapter à une époque actuelle
ayant tendance à remettre facilement en cause les dogmes semblant être en
décalage par rapport au vécu des citoyens[114].
Le qualificatif « transpositif » caractérise de
manière pertinente le « droit » de Dabin, dont les analyses et
descriptions résultent d’une logique théorique intégrant en son sein une
approche philosophique. De là, tout dépend de la prise de position initiale
dans une critique de son œuvre. D’un point de vue philosophique, le sous-jacent
marque une profondeur réelle et compense le premier degré de lecture - celui-ci
limité à l’apparaître plus qu’à l’être - tout en considérant que
l’apparaître est une première perception nécessaire pour poursuivre une étude
sur l’être. Au théoricien, la formule de l’œuvre apparaîtra comme résultant
d’un bon sens très inspiré, même si non exempte des reproches classiques d’une
pensée qui a pris le risque de lier un idéalisme néo-kantien et un réalisme
néo-thomiste. En ce sens, Akira Mizunami[115]
a éclairé certains points fondamentaux notamment par comparaison-opposition
avec Kelsen dans le cadre de la critique de l’interprétation de Joseph L. Kunz[116].
(*) ATER et doctorant, Centre de Philosophie du Droit,
Université Montesquieu Bordeaux 4.
______________________________________________________________________________________________
© THÈMES, Revue de la
Bibliothèque de philosophie comparée, IV/2011, mise ligne le 19 septembre 2011
[1] Cet
article reprend les thèmes du mémoire Le
droit naturel chez Jean Dabin – entre droit positif et jusnaturalisme,
Bordeaux, 2007
[2] Sur la
distinction entre philosophie et théorie, cf. TRIGEAUD J.M., Humanisme de la liberté et philosophie de la
justice, éd. Biere, 1985, p.14-21
[3] DABIN
Jean, Théorie générale du droit,
Dalloz, Paris, 1969, p.9, n°9
[4] ibid., p.10
[5] Ce qui
signifie que le philosophique est encadré dans la théorie, d’où la constitution
de liens qui se séparent d’une approche proprement philosophique et aboutissent
en dernière analyse a des divergences voire des oppositions dans les
déterminations finales. Cette méthode, ici appliquée sans rigidité forcée, se
retrouve déjà chez l’historien de
Göttingen Gustav Hugo. Sur cet auteur, cf. TRIGEAUD J.-M., op. cit., p.15
[6] DABIN, op. cit.,
p.9
[7] DABIN, op. cit., p.9: « […] dans la
plupart des considérations ou traités de philosophie du droit, on trouve
beaucoup plus de philosophie que de droit ». Ceci marque peut-être
l’incapacité à percevoir le procédé philosophique qui vise l’être avant de
viser des objets. Celui qui vise directement l’objet sans référence à l’être de
l’objet s’oublie dans l’apparaître et les abstractions mal maîtrisées.
[8] Notamment
avec Auguste Comte
[9] Hauriou et
Santi Romano
[10] Gény,
Saleilles, Ripert, Gierke, Duguit, Hauriou - nous reprenons le classement
proposé par FASSO Guido, Histoire de la
philosophie du droit, LGDJ, Paris, 1976
[11] Sans rentrer
dans l’histoire du thomisme au 19e-20e siècle, on notera
en particulier les efforts de Lepidi, de Van Weddingen, du Cardinal Mercier, de
Maurice de Wulf et des jésuites De San, Castelein et Van der Aa
[12] DABIN, op.
cit., p. 13 : sans être thomiste ou néo-thomiste, Dabin estime que s.
Thomas a fournit des matériaux et arguments dans l’édification d’une théorie du
droit encore valable aujourd’hui.
[13] VILLEY
Michel, La formation de la pensée
juridique moderne, PUF, 2006, p.348
[14] ibid., p.353
[15] Le sort que
réserve Dabin à l’être est plus complexe puisque justement – suivant sa
distinction entre philosophie et théorie – il l’encadre entre une théorie qui
tend à rendre l’être statique et une philosophie qui perçoit son dynamisme
[16] VILLEY, op. cit., p.354
[17] VILLEY, op. cit., p.354
[18] VILLEY,
« Dimensions religieuses du droit », APHD, 1973, n°18, Bible et philosophie gréco-romaine de Saint
Thomas au droit moderne : « Personne n’ignore qu’au 16e
siècle les écoles du monde catholique, dominicaines et jésuites, les grandes
universités, surtout celle de Salamanque, tentèrent un retour à Salamanque,
tentèrent un retour à Saint Thomas. La Somme Théologique fut prise pour manuel
de théologie ; alors éclorent des commentaires de l’œuvre de Saint Thomas,
dont encore aujourd’hui s’abreuvent la plupart des « néothomistes ».
Il est remarquable que Rommen, Recasens-Sichez, Legaz y Lacambra, Ambrosetti
(sans parler de Klug), même ces représentants laïcs de la doctrine catholique
du droit naturel, ont tous commencé par écrire un livre sur Suarez. »
[19] Comme le
dit G. Renard dans Le droit, l’ordre et
la raison : « la cause du droit naturel a eu moins à souffrir de
ses détracteurs que de ses maladroits amis », p.XI
[20] DABIN
Jean, La philosophie de l’ordre juridique
positif, Sirey, Paris, 1929, p.260
[21] ibid., p.262
[22]
SERTILLANGES, La philosophie morale de
Saint Thomas d’Aquin, 2e éd., Paris, Alcan, 1922, p.147 :
« on n’obéit à la nature qu’en se conduisant selon la raison, puisque la
raison est la caractéristique de l’homme et que la nature veut de chaque être
qu’il soit lui-même »
[23] On la
retrouve d’ailleurs chez G. Renard, E. Janssens et O. Lottin
[24] ROMMEN
Henri, Le droit naturel,
histoire-doctrine, Paris, 1945, p.180
[25] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.322-323
[26] ibid., c’est nous qui soulignons
[27] ibid., p.328 ; Mais il ne va pas
aussi loin qu’un TAPARELLI D’AZEGLIO Luigi, Essai
théorique de droit naturel basé sur les faits, tome premier, Tournai, H.
Casterman, 1875, p :34. Celui-ci montre bien le mouvement de l’être :
« les mots nature, faculté, expriment une tendance à produire un
acte »
[28] Cf. p.2, note 15
[29] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.272
[30] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.8
[31] LALLOT
Jean, Ildefonse Frédérique, Catégories,
éd. Du Seuil, 2002, p.284 - en ce sens, la quadripartition des étants
d’Aristote permet de justifier une position différente selon ce qui est dans un
sujet et ce qui se dit d’un sujet
[32] HERVADA
Javier, Introduction critique au droit
naturel, éd. Biere, 1991, p.120
[33] BRUN Jean,
Platon, PUF, Paris, 1996, p.44
[34] Ibid.
[35] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.347
[36] Cf. infra, p.6
[37] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.18
[38] Dabin
estime que chez Gény « le donné ne constitue pas encore la norme
juridique : celle-ci n’existera qu’autant que le donné sera
construit »
[39] DABIN, op. cit.,
p.21
[40]
JANKELEVITCH, Le je-ne-sais-quoi et le
presque-rien, éd. Du Seuil, Paris, 1981
[41] MARITAIN, L’homme et l’Etat, PUF, Paris, 1953,
p.84
[42] DABIN, op.cit.,
p.270
[43] RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles,
LGDJ, 1949, p.418
[44] DABIN, op. cit.,
p.312
[45] En ce sens,
Dabin s’inspire de Viktor Von Cathrein, mais ne reste pas autant que lui dans
un discours sur la morale, et accorde à la contrainte étatique une portée
beaucoup plus importante notamment dans l’existence de la règle de droit
[46] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.330
[47] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.333
[48] GENY, Science et technique en droit positif,
tome IV, Sirey, 1924, p. 217 :
« En dépit de quelques oppositions, plus tapageuses que solidement fondées,
on admet, à peu près unanimement, l’existence de semblables règles [de droit
naturel objectif, indépendantes de toutes positivité] dans le domaine purement
moral. Mais si l’on fait intervenir la sanction extérieure provenant de la
contrainte sociale, ce qui nous place exactement sous l’angle juridique, la
question apparaît plus délicate. Elle se ramène exactement à savoir, s’il
existe une ‘loi naturelle’ dictant impérieusement à l’homme des règles qui
dussent, pour avoir toute leur portée utile, être susceptible d’une coercition
effective »
[49] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.305
[50] Ibid., p.307
[51] La
critique vaut pour Ripert par exemple qui demande au droit naturel une
certitude mathématique
[52] DABIN, op. cit.,
p.271
[53] DABIN, op. cit.,
p.271
[54] RENARD, Le droit, l’ordre et la raison, 4e
conférence, Sirey, Paris, 1927
[55] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.312 : « c’est ce qui explique le malentendu signalé
par G. Renard (Le droit, la logique et le bon sens, Appendice, pp.402-403)
entre les juristes et la philosophes. Si M. Baudin, philosophe et théologien,
s’étonne qu’après sa profession de foi philosophique, M. Renard puisse encore
tenir pour redoutable le problème du droit naturel, c’est parce que M. Baudin
parle du droit naturel moral, tandis que M. Renard vise un droit naturel
juridique »
[56] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.340
[57] ibid.
[58] VILLEY, Leçons d’histoire de la philosophie du droit,
2e éd., Paris, 1962, p.294
[59] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.309
[60] ibid., p.312
[61] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.329 ; voir également GENY, « La laïcité du droit
naturel », in AphD, 1933, n°3-4, p.8 note 1
[62] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.4
[63] Il
n’empêche que la pensée de Dabin a fait école jusqu’au Japon
[64] HAURIOU
Maurice, Précis de droit constitutionnel,
2e éd., Paris, 1923, p.58
[65] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.83
[66] ibid., p.80-81
[67] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.300
[68] ibid., p.160
[69] HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2e
éd., Paris, 1923, p.61
[70] DABIN, op. cit.,
p.301
[71] DABIN, op. cit.,
p.301
[72] GENY, Science et technique en droit privé positif,
Paris, Sirey, 1921, t.3, 3e partie
[73] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.177
[74] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.164
[75] Stammler
[76] Burdeau
[77] Nawiasky
[78] Gurvitch
[79] DABIN, op. cit.,
p.378
[80] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.378
[81] ibid., p.385
[82] DABIN, op. cit., p.289 : « quoi que l’on
fasse, quoi que l’on souhaite, toujours la définition juridique restera plus ou
moins approximative, expéditive et sommaire. Saisir les phénomènes dans leur
complexité et dans leur continuité, logique ou historique, a fortiori pénétrer
l’essence des choses n’est pas et ce sera jamais le fort du juriste, parce que
sa tâche n’est pas d’établir des définitions scientifiquement correctes, mais
d’élaborer des règles applicables, et que la praticabilité du droit veut des
définitions relativement simples, aptes au maniement ».
Cette
position est restrictive. Elle sous-estime la recherche des juristes et sa
capacité à distinguer le nécessaire et le contingent, le statique et le
dynamique.
[83] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.225
[84] ibid., p.239
[85] ibid., p.159
[86] D’HOLBACH,
Principes naturels de la morale et de la politique, t.1, p.322-323 dans une
préoccupation pragmatique sous le signe d’une tendance empiriste
[87] BACON, Essai d’un traité sur la justice universelle,
trad. Vauzelles, Paris, Warée, 1824
[88] PUFENDORF,
Droit de la nature et des gens, trad.
Barbeyrac, rééd. Caen, 1987, livre VII, chap. IX, §3
[89] LOCKE, Le second traité du gouvernement :
essai sur la véritable origine, l’étendue et la fin du gouvernement civil,
Paris, PUF, 1994
[90] DABIN, op. cit.,
1929, p.159-160
[91] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.218
[92] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.158
[93] Cf.
TRIGEAUD J.-M., Eléments de philosophie politique, Biere, 1993, p.125 et suiv.
(« L’ordination du bien commun au respect de la personne dans la
philosophie politique thomiste »)
[94] DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz,
Paris, 1969, p.218-219
[95] ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VIII, 11, 1160a13
[96] RAULET Gérard,
La philosophie allemande depuis 1945,
Armand Colin, 2006, p.334
[97] NAY
Olivier, Histoire des idées politiques,
Armand Colin, 2004, p.500 et suiv.
[98] Alasdair MacIntyre, Michael Sandel, Amitaï Etzioni
[99] Charles Taylor, Michael Walzer, Will Kymlicka
[100] Robert Nozick, Noam Chomsky
[101] Von Cathrein, Verdross, Coïng et Fechner
[102] Entendue
comme des constances de situations où l’homme évolue
[103] FUCHS Josef, Lex
naturae – Zur Theoloie des Naturrechts, Patmos, 1955
[104] Sûrement moins
proche de Dabin que ne l’est Fuchs, on relève cependant certains points
spécifiques de l’auteur : la conscience juridique de la société dans sa
spontanéité comme élément de la loi naturelle ; le problème d’une justice
considérée comme un équilibre, une synthèse, tout en étant donné par la
nature ; la place de l’homme dans l’invention d’un système d’ordre (avec
une prudence nécessaire) ; les prescriptions minimum et maximum du
législateur face à l’hostilité de l’opinion publique ; le rapport entre
droit positif et droit naturel
[105] Comme Dabin d’ailleurs
[106] DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif,
Sirey, Paris, 1929, p.162
[107] ibid., p.164
[108] ibid., p.193
[109] DABIN, Doctrine générale de l’Etat, Paris,
Sirey, 1939, p.49
[110] ibid., p.49, 50
[111] ibid., p.47
[112] ibid., p.52
[113] DARBELLAY
Jean, La réflexions des philosophes et
des juristes sur le droit et le politique, éd. universitaire de Fribourg,
1987, p.55 ; VERDROSS Alfred, Abendländische
Rechtsphilosophie, Wien, 1958, p.58
[114] On rappelle
pourtant son influence jusqu’au Japon, dont la culture diffère fortement de
celle de la Belgique
[115] Nous
renvoyons à l’article d’Akira MIZUNAMI, Dabin
et Kelsen. On soulignera notamment : le caractère sociétaire du droit,
la notion formelle du droit et la définition pratique, la norme juridique
générale, la raison d’être de la règle juridique, le rapport entre être et
devoir-être
[116] Mélanges en l’honneur de Jean Dabin,
Tome 1, théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1963