Revue de la
B.P.C. THÈMES VI/2012
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Mise en ligne le 14 septembre 2012
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Néo-évolutionnisme
et neuro-éthique à portée juridique
par Mathilde Briard[1]
A propos
des ouvrages de
Neil Levy (éd.) et al., Evolutionary Ethics,
The international Library of Essays on Evolutionary
Thought, vol.3, Ashgate, 2010, 341 p.
et de
Michael Freeman (éd.) et al., Law and
Neuroscience,
Current legal issues 2010, vol. 13,Oxford
University Press, 2011, 563 p.
« L’acte humain ne se réduit pas à sa matérialité »
affirmait Léon Husson, exprimant ainsi le principe nécessaire de toute
conception métaphysique de la responsabilité et de la liberté qu’elle
présume : celui de la distinction entre la personne et ses actions[2].
Le droit de la responsabilité, qui ne peut qu’accepter ces prémisses, doit
pourtant dialoguer avec des théories qui pourraient bien en bouleverser la
conception, en considérant justement que l’existence de la personne s’explique
entièrement par des phénomènes physiques.
En effet, les
méthodes de l’expérimentation et de l’observation qui sont les outils des
sciences biologiques, se proposent désormais d’établir la vérité[3], laquelle
devrait s’imposer même aux champs de la connaissance normative. Or, cette
tendance hégémonique ne peut qu’heurter la présomption de liberté où s’arrime
la responsabilité, puisque, évidemment, ces dernières ne sont susceptibles
d’être observées nulle part, du moins ne peuvent-elles l’être ni au cours d’une
vivisection, ni à l’occasion d’une équation.
L’expérience qui nous ouvre à leur connaissance ne peut être de
celles que l’on exécute dans un laboratoire, ni même de celles que la raison
peut seule mener[4].
Il semblerait ainsi
que les réflexions menées par le droit de la responsabilité actuellement puissent
être situées entre deux extrémités ; l’une d’elle est représentée par
l’évolutionnisme éthique, récemment défendu par un recueil d’articles publiés
par le docteur Levy[5], et marqué
au fond du sceau des philosophies analytiques, avec tout ce que cela implique
de positivisme et de formalisme, et l’autre se manifeste en une
« neuro-éthique », non moins strictement positiviste et matérialiste,
laquelle a fait notamment l’objet d’un ouvrage endossé par le professeur
Freeman[6].
Chacune de ces postures peut contribuer à promouvoir un
déterminisme de la personne, qui la situerait dans une irresponsabilité gravée
non seulement dans son patrimoine génétique en tant que membre de l’espèce
humaine, mais encore dans les réactions neuronales de son cerveau en tant qu’individu
particulier, mais conçu de façon finalement génériciste.
Par l’attirance que suscite la biologie, l’acte dont Louis Lavelle a montré tous les ressorts ontologiques[7],
est en quelque sorte aspiré par le réflexe qui pourrait s’expliquer intégralement et matériellement. Plus aucune
trace du mystère marcellien ne subsiste dans cet homme[8]
dont le sens moral relève de l’instinct[9]
et dont l’agir relève, sinon de l’automatisme chimique, au moins d’un processus
neuronal inconscient.
D’une infime partie
de notre anatomie au corps social inscrit dans une immense généalogie humaine,
de la continuité entre l’homme et sa chimie à une simple différence de degré
entre l’animal et la personne[10],
le problème de la conscience impose pourtant que des échanges soient possibles
entre biologie et philosophie du droit. Comme le suggère d’ailleurs le
professeur Winfried Hassemer, les rencontres entre ces pensées peuvent être
bénéfiques, si, et seulement si, chacune d’elle respecte l’originalité profonde
de l’autre dans ses postulats et dans ses démarches[11].
C’est ainsi que l’analyse des voies par lesquelles les visions
purement biologiques de la personne humaine, telles qu’elles sont déployées par
un néo-évolutionnisme en matière éthique ou par un « neuro-droit », pourraient
détourner le droit de la justice semble être la base sur laquelle doit reposer
la communication entre ces deux types de connaissance.
Bien que
l’évolutionnisme entretienne d’étroites relations avec des sciences naturelles
dont la positivité serait aisément confondue avec une parfaite objectivité, il
faut tout d’abord se souvenir de sa nature essentiellement idéologique.
Ce courant de pensée présuppose que la compréhension d’un phénomène
passe par celle de sa position dans une échelle temporelle de l’évolution
biologique[12]. Partant,
le néo-évolutionnisme est une pensée qui doit être inscrite dans un analytisme,
lequel nourrit dans cette tendance ses aspects positivistes et empiristes par
ses modes d’accès à la connaissance, aussi bien que ses vues mécanistes par le
néo-darwinisme, ou finalistes par le néo-lamarckisme.
Mais un
comportement peut-il apparaître comme moral s’il n’est que la conséquence, même
indirecte, d’une évolution génétique et généalogique qui devrait favoriser les
attitudes utiles à la survie de l’Homme[13] ?
La réponse ne peut être positive qu’à la condition que l’on
admette, à un premier niveau social de l’analyse, de déchoir les sentiments
moraux de leur gratuité essentielle, ou bien que l’on admette, à un second
niveau onto-axiologique, de confondre l’être et le devoir-être, ce que semblent
bien faire les tenants de l’évolutionnisme éthique.
Peut-être est-il possible néanmoins d’offrir à la responsabilité
morale une situation dans l’évolution
si l’on veut bien, avec Henri Bergson, rendre à cette philosophie sa mission de
prolonger la science en permettant la compréhension véritable du devenir comme
liberté créatrice, afin de quitter le carcan que la survie impose à la vie.
Le darwinisme
social, dont l’horreur est patente dès lors qu’il conduit à l’élimination
légitime du plus faible qui apparaît dans une telle vue comme étant nécessairement
le moins moral, est une thèse entièrement spencérienne, qui peut donc être
réfutée par les néo-darwinistes[14]
au motif que l’initiateur de l’idéologie évolutionniste analysait la sélection
naturelle comme une sélection collective, laquelle favoriserait les groupes
capables de coopération et d’altruisme[15].
Jusqu’à un certain point donc la capacité humaine, mais aussi alors
inévitablement animale[16],
à faire preuve d’altruisme pourrait s’expliquer par l’évolution de nos gènes[17],
et cet altruisme, quoique distinct de la morale, en serait le matériel de base.
C’est précisément ce que pose le docteur Levy lui-même
lorsqu’il indique que: « Though
evolutionists, of all stripes, are no doubt right in insisting that morality
has evolutionary origins, it cannot be identified with the set of dispositions
which we have as a result of our evolutionary history. This initial set of
dispositions need do no more than make us sensitive to the needs and interests
of others, and give us the concept of morality that is impartial », (Neil
Levy, p. XXXI).
Cependant, cette empathie évolutionniste ne peut aller sans poser
un certain nombre de problèmes dont les auteurs ayant participé à Evolutionary ethics sont d’ailleurs conscients.
La première de ces difficultés trouve sa source dans la définition même que l’on choisit de
donner à l’altruisme. En effet, il apparaît que l’on serait en mesure de
distinguer l’altruisme psychologique et l’altruisme évolutionniste[18] ;
tandis que celui-ci repose dans une
intention de favoriser les intérêts de l’autre contre son propre intérêt,
celui-là consiste en un effet du
comportement altruiste, conduisant à une augmentation des chances de survie de
l’autre et à une diminution corrélative de celui qui aura adopté une telle
attitude. Ainsi, « a behaviour is said to be altruistic in the evolutionary sense of that
term if it involves a fitness cost to the donor and confers a fitness benefit
on the recipient. A mindless organism can be an evolutionary altruist »,
(Sober et Wilson, p. 69).
Mais, puisque l’évolutionnisme postule que les lois de l’évolution
contraignent tout le vivant à rechercher d’abord sa survie[19],
l’altruisme évolutionniste ne peut qu’être une aporie, alors que l’altruisme
psychologique continue à être un fait observable et qu’il ne peut exister que
par l’effet de l’évolution dans un tel système de pensée.
La résolution de ce
paradoxe peut passer, selon les partisans de cette doctrine, par une
démonstration de l’efficacité de
l’altruisme évolutionniste au plan de la sélection naturelle et ce sont les
théories du jeu ou le dilemme du prisonnier qui servent de modèles
argumentatifs, dans une vision rationnelle de l’homme évolutionniste.
L’homme
raisonnable,
donc, augmente ses chances de survie s’il parvient à convaincre l’autre de
coopérer avec lui et cette coopération implique une relation de confiance qui
s’établit principalement grâce à un comportement effectivement altruiste[20].
Une autre démonstration de l’efficacité de l’altruisme au plan évolutionniste
peut au contraire emprunter les voies de l’animalité humaine, et profiter d’une
assimilation des états affectifs humains à un instinct de conservation de la
vie de ceux qui appartiennent à notre espèce, à notre tribu, ou à notre
consanguinité.
L’homme sensible augmente donc quant à lui les
chances de survie de son enfant par exemple en se sacrifiant, mais en
prolongeant d’une certaine manière sa vie à travers sa descendance.
Mais, si ce faisant il n’existe plus
d’opposition entre la sélection naturelle et l’empathie d’un homme pour un
autre, c’est au prix, nous semble-t-il, d’une dénaturation de l’altruisme
puisqu’il ne peut plus, dans aucune de ces deux positions, être gratuit.
C’est ce qui
entraîne un second problème, qui concerne finalement l’incapacité de
l’altruisme ainsi conçu à être un altruisme véritablement moral. Le sacrifice[21],
dans sa signification purement humaine ne peut être compris dès lors que la
personne évolutionniste cherche
nécessairement à survivre ou à assurer la survie de ses gènes, alors que le
sacrifice implique celui d’une vie.
Un don est, d’un point de vue évolutionniste ou néo-évolutionniste, simplement
ce qui n’implique pas de contrepartie concrète de nature à augmenter le
bien-être de celui qui le fait. Le comportement altruiste s’expliquera alors
par une « empathie cognitive »[22]
dont la cause finale est toujours la coopération utile d’un point de vue
évolutionniste et qui serait aux sources de nos sentiments moraux.
Or, la gratuité d’un comportement exige plus que cela en une
acception morale, et réside bien plutôt dans un mouvement de sympathie vers l’autre qui est une fin en soi et qui
ne peut être compris sans considérer un troisième terme au dessus de la raison
et de l’émotion, dont parlait déjà le Phèdre,
une conscience, si l’on veut bien lui donner ce nom ici.
Au-delà même de
cette idée de l’altruisme ou du sentiment de sympathie, il semble bien que
toute la morale se trouve ébranlée par les thèses de l’évolutionnisme puisque
le comportement moral convoque la liberté de l’intention de laquelle il est le
produit[23].
En effet, si la morale est un
développement de nos instincts sociaux, notre soumission à elle n’a précisément
plus rien de moral.
Quand bien même la thèse de l’effet réversif de l’évolution serait
invoquée au bénéfice de la responsabilité de l’homme, puisqu’elle permet, par
l’intervention de la rationalité, de permettre une rébellion de ses instincts
contre la sélection naturelle, cela ne peut convaincre entièrement. D’abord, l’instinct
social dès lors qu’il demeure instinct dépossède l’homme de sa nature libre,
impliquant une conscience, et ensuite cette possibilité de renverser les règles
de la loi du plus fort qui semble être offerte ainsi à l’homme social n’est
qu’un leurre dès l’instant qu’elle est le résultat de cette loi elle-même. Le
paralogisme devient alors manifeste.
Plus encore c’est à
une forme inévitable de nihilisme
que conduit l’évolutionnisme éthique, sans doute plus grave que celle qui est
assumée par les auteurs d’Evolutionary
Ethics lorsqu’ils affirment
que : « To be an ethical
nihilist commits one to nothing more than the denial of objective or intrinsic
moral values and categorical imperatives », (Sommers et Rosenberg,
p.184), ou encore que « the more
plausible implication is an error theory —the idea that morality is an illusion
foisted upon us by evolution », (Joyce, p. 203).
En effet, la méthode d’observation et de déduction par laquelle
passe la pensée évolutionniste se propose de découvrir un devoir être dans
l’être, mais non à la manière de l’aristotélisme ou du thomisme, puisque l’être
est entendu ici comme une factualité biologique quantifiable, physique, et
finalement statique. L’être n’est plus lui-même puisqu’il n’existe plus qu’une
série d’étants, et le devoir être se trouve lui-même confondu à cet être
dépourvu d’ontologie[24].
Tout se passe alors comme si, conformément à la partition entre
l’Un et le Multiple[25],
l’évolutionnisme choisissait non seulement de ne s’intéresser qu’à la physique
du devenir, mais encore d’adhérer à une double négation métaphysique ; négation de l’essence d’abord, négation de
l’existence même qui devrait être son objet, puisque celle-ci ne peut
jamais être conçue de façon dynamique, puisque l’évolutionnisme éthique absorbe
littéralement l’existence dans une essence positive et matérielle, mais
fragmentée[26]. Or,
regarder la morale du point de vue d’un tel faux devenir conduit à priver
l’homme de sa liberté.
En dehors de toute
absolutisation du déterminisme, et sans caricaturer le raisonnement
évolutionniste, il est impossible à l’homme d’affronter sa liberté et donc de
prendre sa responsabilité au plan moral s’il ne peut que survivre, et le fait
de faire une place à l’éducation et à la civilisation socialisatrice n’y peut
rien changer. Il existe bien pourtant une part de déterminisme, ne serait-ce
que parce que l’on peut parler de nature humaine justement, mais ces fins qui
sont promues par sa nature, l’homme tend aussi vers elles par l’œuvre d’une
énergie qu’il y place volontairement[27].
Dans le système qu’a élaboré le néo-évolutionnisme, en fin de
compte, le vivant ne peut plus vivre.
L’impasse à laquelle
semble donc devoir conduire la pensée évolutionniste puisque elle ne permet pas
d’envisager une personne libre et donc moralement responsable, Bergson a pu la dépasser, mais en refondant
complètement l’évolutionnisme sur une pensée du changement comme création
véritable.
En effet, lorsque
l’auteur de L’Evolution créatrice
pense le devenir, c’est dans une durée qui ne peut s’assimiler au temps
homogène et spatialisé qui est la toile sur laquelle s’étendent les hypothèses
néo-darwiniennes. En quelque sorte, Bergson nous apprend qu’il est impossible
de concevoir le multiple du devenir sans considérer en même temps l’Un qui le
commande, et cette impulsion initiale prend pour lui la forme d’un élan vital[28].
L’évolutionnisme, quant à lui, correspond finalement toujours à une
théorie de la connaissance selon laquelle il est possible, positivement, de reconstituer un mouvement à partir d’une
succession de fixités, comme un nouveau paradoxe de Zénon D’Elée[29],
alors que la création dont il est question en 1907 se propose de renouveler la
compréhension de l’évolution par la considération d’une unité qui la commande
d’une façon déjà métaphysique. L’évolution
véritable procède par détermination d’une indétermination radicale originaire,
d’une manière finalement presque néo-aristotélicienne puisque l’existence
devient alors ce dont manquait l’essence et ce qui la limité en même temps. Le
vivant devient alors véritablement ce qui
vit et non plus ce qui tente de survivre, et il peut alors reconquérir sa
liberté.
C’est à cette condition, nous semble-t-il, que la morale peut-être
liée à l’évolution.
L’œuvre de Bergson
nous permet ainsi non seulement de répondre à l’évolutionnisme sur le
paralogisme de sa méthode, mais elle peut encore restituer à la morale sa
valeur dès l’instant qu’elle peut lui fournir un principe qui ne relève plus du
mécanisme réflexe conditionné. Tout se joue alors dans la distinction que l’on
se doit de marquer entre l’instinct, l’intelligence et l’intuition.
Si l’instinct fonctionnait dans une
perspective néo-évolutionniste comme une détermination génétique et
généalogique, purement subie par la
personne, il en va différemment dans L’évolution
créatrice puisque pour Bergson d’abord, l’instinct et l’intelligence
s’interpénètrent et se complètent mais en tant précisément qu’ils sont
différents[30]. Selon lui
« l’intelligence, dans ce qu’elle a d’inné, est la connaissance d’une
forme, l’instinct implique celle d’une matière »[31].
Cette distinction joue également au niveau de la considération que l’on peut
avoir de la conscience dans la mesure où elle se dégage d’une représentation
que l’intelligence peut se faire de l’action, que celle-ci soit réelle ou virtuelle[32].
L’instinct dès lors n’est plus seulement une manière d’agir prédéterminée, il
est aussi une façon de savoir immédiatement
comment investir tel ou tel objet.
L’intuition ensuite, relève de
l’intelligence dès lors qu’elle est consciente, mais elle paraît emprunter à
l’instinct son immédiateté. Elle perçoit la vie « du dedans » en
quelque sorte dès lors qu’elle ne fige pas son mouvement en une représentation
connaissante mais nécessairement immobilisante.
René Le Senne a été un commentateur avisé de cette intuition
bergsonienne[33], notamment parce
qu’il l’a liée très directement à la situation du domaine moral par rapport à
ce mouvement de l’esprit vers lui-même. Cette relation se comprend par celle
qui doit unir l’intuition et l’invention[34],
et dans l’intuition elle-même, la détermination et la liberté. Ainsi l’auteur
du Traité de morale générale a-t-il
perçu son importance dans l’explication de la vie morale qui se porte vers
l’action et qui déborde réellement la « pression » du déterminé en
tant qu’« aspiration » spirituelle et créatrice[35].
En outre, et c’est
là un point qui paraît devoir renforcer les oppositions entre le
néo-évolutionnisme en matière éthique et l’évolution bergsonienne, il faut
considérer que la durée qui a conduit
le philosophe à l’idée d’une évolution créatrice est essentiellement une expérience.
Or, l’expérience dont il s’agit n’est point celle qui est déjà enclose en une
action individuelle ; elle peut être au contraire une expérience
imaginative et circulatoire, qui permet au vivant d’être à la fois en lui et en
dehors de lui. Il y a dans l’élan vital,
l’idée d’une communication profonde entre les êtres[36],
qui est la charité[37].
L’élan vital est donc aussi un élan vers l’autre, qui ne peut absolument pas se
réduire à l’égoïsme ou à l’altruisme calculé dans lequel est enfermé l’homme
qui doit s’adapter pour survivre. Maurice Pradines dit ainsi que l’
« expérience implique une puissance de vivre d’une manière entièrement incorporelle et inspatiale –en
accord avec cette forme d’existence fluide des choses que leur spatialité nous
dissimule– et finalement de rejoindre l’élan divin de la création et la charité
qui l’anime par delà l’égoïsme des tâches adaptatives et même l’altruisme clos
des tâches sociales »[38].
C’est assez montrer alors par où les sentiments moraux retrouvent
leur originalité, de n’être précisément ni une affection purement subie, ni un
calcul entièrement choisit, mais un mouvement
sympathique auquel la personne participe librement. La pensée bergsonienne
formule donc une manière d’être en mouvement qui permet à la personne d’être
librement morale.
Les mêmes
déterminismes pèsent sur les explications synaptiques de la prise décision
humaine, auxquels il faut pourtant trouver le moyen d’adjoindre une vision de
la liberté.
Un nombre assez
important d’ouvrages, parus essentiellement en langue anglaise, parmi lesquels
celui édité par le professeur Freeman, et allemande, ont été consacrés ces deux
ou trois dernières années à la question de savoir comment les neurosciences
pouvaient dialoguer avec le droit et avec la philosophie du droit en
particulier[39], dès
l’instant que l’on prétendait non seulement pouvoir localiser les zones du
cerveau responsables de telles ou telles actions répréhensibles, mais encore
pouvoir déterminer que la prise de décision elle-même relevait en partie de
déterminations inconscientes avant de pouvoir provoquer ou non l’assentiment
volontaire d’un individu[40] :
« [Libet] showed that the conscious
intention to act upon a decision lagged 300-500 milliseconds behind the
unconscious brain activity that lead to intentions. Does this mean that our brain knows our
decisions before we do, or at least before we become conscious of them? This
would appear to problematize free will. But, as Stephen Morse points out, these
findings simply demonstrate that unconscious brain events precede conscious
experience. (…) It does not mean that intentionality does not play a causal
role in our actions, since there is more to decision-making and actions.», (Freeman, p. 6) [41].
Il apparaît ainsi que le psychisme est conçu, même lorsqu’un
certain scepticisme est prôné contre les tendances hégémoniques de la
neurobiologie, comme pouvant absorber toute notre ontologie, comme si l’acte d’être pouvait n’être que l’action
dérivant de nos cellules, alors que le droit de la responsabilité repose
expressément sur une distinction de deux ordres : celui de la personne, et
celui de l’action éventuellement préjudiciable[42].
Pourtant, l’appauvrissement de l’acte dans l’action, et même dans
la ré-action de notre système nerveux, sur le chemin duquel nous placent les
conceptions modernes des neurosciences, et particulièrement les
« neuro-éthiques » ou les « neuro-droits », est bien une
réalité. Celle-ci découle particulièrement de la réduction de
l’irresponsabilité à un dysfonctionnement ou à un désordre neuronal, ce qui
renvoi explicitement à une réduction de plus grande ampleur de la conscience au
corps.
L’utilisation de
techniques d’imagerie médicale telles que l’Imagerie par Résonnance Magnétique
dans la détermination de l’absence ou de l’atténuation de la responsabilité
d’un agent constitue l’un des points d’achoppement les plus évidents entre les
neurosciences et le droit de la responsabilité pénale[43].
La question de savoir quelle portée il est possible de donner à ces expertises
est celle qui capte l’attention d’une grande majorité d’auteurs[44]
et elle est effectivement cruciale en ce que cette interrogation invite à une
réflexion sur la preuve, envisagée comme étant aux prises avec une certaine positivité biologique, dont on a pu se
demander si elle ne pouvait remplacer la normativité
juridique[45]. Les
disciplines telles que la neuro-éthique ou même le neuro-droit souscrivent en
effet parfois à l’hypothèse selon laquelle le résultat de l’examen pratiqué
éclairerait la détermination normative de l’engagement de la responsabilité,
laquelle serait donc dépendante d’une évaluation purement positive. Mais
suffit-il que la pathologie dont souffre l’auteur d’un crime soit vraie pour causer son irresponsabilité
totale ou partielle ? La vérité de la neurologie peut-elle être supérieure
à celle qui découle de la justice ?
Une telle hypothèse
ne peut être formulée que parce que, de manière sous-jacente, les neurosciences
agréent l’idée que l’on puisse reconstituer a
posteriori l’état mental dans lequel
a été plongée la personne dont l’action répréhensible est examinée, dès lors
que ce qui aura été observé dans le cerveau au moment de l’expertise sera
considéré comme valable rétroactivement au jour du méfait. Cela revient à
prétendre non seulement que l’on peut recréer dans un laboratoire la situation
dans laquelle la personne a agit[46],
mais encore que celle-ci peut, pratiquement, vivre deux fois la même chose. En
effet, sans cette croyance, il serait parfaitement impossible de prétendre à la
force probante de telles expertises puisque les règles auxquelles obéissent la
preuve, en dehors même des formalités qui la garantissent, supposent qu’elle
soit inscrite dans une temporalité antérieure ou contemporaine de l’action que
l’on cherche à juger. Imaginerait-on que l’on puisse par exemple prouver la
légitime défense en démontrant que la personne qui en a usé a été en danger
plusieurs heures ou même plusieurs minutes après
la situation dans laquelle elle a agi ? Comme dans l’hypothèse d’un examen
cérébral, cela ne peut être regardé comme une preuve que si l’on considère que
ce danger était préexistant, et qu’il a perduré.
S’il est possible en effet de voir les
neurones réagir plusieurs fois de façon strictement identique, la neurologie ne
peut en déduire pour autant que cette similitude s’étende à l’état d’esprit,
voire à l’état d’âme, d’une personne, sauf à confondre justement cette
dernière avec le dysfonctionnement encéphalique auquel on impute son attitude.
Car, si précisément l’anomalie observée dans le cerveau est
constante, puisque les neurologues sont capables de déterminer, à partir d’une
image de l’état neuronal à un instant précis, depuis combien de temps elle
affecte le patient, il faudrait encore dire comment elle pourrait être devenue
la cause première de toutes les actions entreprises par lui, comment elle
aurait pu devenir si irrésistible qu’elle aurait fini par faire partie de lui. Or, c’est précisément sur ces questions de
savoir comment les cellules nerveuses communiquent entre elles et comment elles
provoquent des représentations du monde susceptibles de nous pousser à
ressentir et à agir d’une certaine manière que les neurosciences contemporaines
ont le plus de difficultés à proposer des méthodes explicatives[47].
La conscience demeure en somme l’unité à laquelle se heurtent, peut-être
nécessairement, les observations positives des neurosciences.
Pourtant, il
semblerait bien que cette continuité de l’anomalie neuronale dans le
fonctionnement nerveux de la personne, dont doit user la neurologie lorsqu’elle
vise à appuyer le droit dans l’évaluation d’une responsabilité, suppose que
l’on ait admis l’idée selon laquelle le comportement interrogé relèverait d’une maladie, renvoyant à la structure
ou au fonctionnement de notre cerveau. C’est
elle qui serait chargée alors, en lieu et place de la personne, de faire sens.
Les mesures dans lesquelles ces recherches peuvent conduire à une
nouvelle conception de l’identité apparaissent alors : la personne se
trouve confondue avec les déterminations pathologiques de ses actions. Tout
pourra ensuite découler d’elles et une nouvelle identité sera reconstruite, en
remontant le cours du temps, à partir de cette dangerosité désormais convenue
de l’individu. Il lui devient impossible alors de s’extraire de ce nouveau
système dans lequel sa personne est emmurée, avant même d’être enfermée
physiquement dans une prison ou dans une institution spécialisée.
De là vient
l’importance de la distinction qui doit demeurer fondamentale entre le domaine
du pathologique et l’idée d’une anormalité du comportement[48].
En effet, sans rejeter l’importance des recherches de la
neurologie, il apparait que la confusion
de deux ordres ne puisse conduire qu’à l’irresponsabilité généralisée
puisque, d’une part, c’est bien à partir de l’action qui
marque prioritairement la qualité des engrenages cérébraux, comme le signale
Stephen J. Morse (« Finally, and
most importantely, because the responsability and competence criteria are
behavioural, actions speak louder than images », p. 539)[49],
et qui aura été accomplie au mépris de la norme que l’on analysera le cerveau
afin d’y trouver une cause. Donc, toute personne qui aura commis une telle
action préjudicielle sera susceptible d’être l’objet d’un examen, lequel ne
pourra manquer de révéler un désordre cérébral et cognitif, étant donné que si
l’agissement est différent les neurosciences postulent justement que les
réactions neuronales le sont également nécessairement.
D’autre part, l’irresponsabilité menace de devenir le principe
parce que cette confusion de la pathologie et de l’anormalité, qui s’exprime
parfaitement dans la notion de dangerosité[50],
conduit à l’absorption de la liberté de ressentir et d’agir dans un mécanisme
nerveux, dont on ne voit pas comment il pourrait ne pas être inextricable dès
l’instant qu’il nie l’existence d’un autre ordre. Ajoutons d’ailleurs que, même
à un niveau strictement positif et logique, la corrélation qu’ont établit un
certain nombre de recherches neurologiques entre un dysfonctionnement
encéphalique identifiable et une attitude préjudiciable ne peut accéder au rang
de causation première, attendu qu’elle ne suffit pas à priver l’homme de toutes
ses capacités à inhiber[51]
certains agissements.
Le concept de la
liberté résiste ainsi aux structures dans lesquelles on peut être tenté de la
contraindre, fussent-elles internes et moléculaires. Mais il existe un autre
niveau auquel les sciences neurologiques peuvent atteindre la responsabilité de
la personne, et qui va au-delà même de l’expertise d’une quelconque pathologie
nerveuse.
Sans préjuger des progrès que les neurosciences peuvent
encore accomplir, ni sans accuser l’une ou l’autre des idéologies qui
gouvernent leurs destinées, puisqu’il existe notamment une césure, d’ailleurs
commune à d’autres champs spécifiques de la connaissance, que l’on pourrait
fixer entre un matérialisme moniste[52] pour lequel
l’âme ou la conscience sont entièrement et uniquement les résultats de
processus neuronaux, et un dualisme d’inspiration plus constructiviste qui fait
de la conscience une entité distincte, composée de notre cerveau et de notre
expérience[53],
ce sont les postulats même de ces sciences qu’il faut questionner au regard des
problématiques de l’acception juridique de la responsabilité.
Car il existe bien
d’emblée une relation conflictuelle entre la liberté de l’homme qui agit tel que le droit cherche à le
connaître, et le déterminisme de l’individu qui réagit aux stimuli qui mettent en mouvement les molécules dont
il est composé selon la neurologie. Certes, un grand nombre d’études du système
nerveux ne conduisent pas à nier toute individualité ni toute liberté humaine,
loin s’en faut. Néanmoins elles admettent toutes qu’il existe des
déterminations contre lesquelles il serait impossible de lutter, ce qui
conduirait ce faisant à réduire au moins une partie de nos actions à des
reflexes pour lesquels aucune responsabilité ne pourrait être assumée.
Or, il ne s’agit pas en droit de nier tout déterminisme,
mais plus modestement d’admettre qu’il existe pour la personne des moyens de
contourner ces routes sur lesquelles elle est jetée. La responsabilité est
ainsi dépendante de la possibilité qu’avait le sujet d’agir autrement, en somme
d’agir véritablement.
Si l’on accepte que la
conduite d’une personne, celle-là même qui est saisie dans une situation
juridique, soit entièrement ou principalement causée par des événements se
déroulant à l’échelle neuronale, alors on doit admettre nécessairement aussi
que la responsabilité de cette action ne peut plus être supportée par l’agent,
mais par son cerveau uniquement, qui aurait en quelque sorte agit malgré lui[54].
En introduisant une telle partition, radicalement diabolique, entre l’homme et une partie de lui, qui de surcroît le
dominerait, les thèses de la neurologie, illustrant à ce titre un écueil
potentiel de toute science naturelle envisagée de façon purement mécaniste et
positive, engagent la rupture entre elles et une ontologie de la personne,
consommant dès lors l’impossible représentation d’une responsabilité vraie.
Poussant à son paroxysme la séparation du corps et de
l’âme, en prétendant pourtant précisément l’annihiler puisque cette dernière
est réduite au premier, et même les séparations du corps lui-même puisque
l’intégration d’une géographie neuronale conduit à considérer chaque partie du
cerveau comme un tout susceptible de communiquer l’origine d’une affection et
la façon dont elle est vécue, les découvertes récentes de la neurologie
pourraient bien conduire à mettre la personne hors d’elle-même. Elle ne serait
plus alors en état de responsabilité.
Tout se passe comme si la
possibilité d’identifier, de localiser, les différents centres qui commandent
nos actions, c’est-à-dire neurologiquement nos réactions aux différentes
affections de notre être[55],
pouvait être en même temps une possibilité de comprendre l’acte ontologique
d’une personne. En effet, le dualisme contre lequel s’élèvent les neurosciences
les conduit à faire de la conscience une fonction
du cerveau. Mais cette unité n’est qu’un leurre : elle absorbe la
conscience dans le corps, en niant son altérité, au lieu de permettre une
considération de leur alliance. L’unité
dont il est question alors ne se fait qu’au prix de la suppression de l’un des
deux termes de l’équation. Seulement, la conscience, le sentiment de soi,
la personne, continue de devoir être appréciée avec le corps mais non pas
uniquement par lui, en droit ou ailleurs, parce que chacun est objectivement
libre dans sa subjectivité radicale. Ainsi, en fait de réfutation de
l’originalité de la conscience, c’est à son rejet dans une métaphysique
absolument a-biologique que mènent les mouvances dans lesquelles se situent les
neurosciences cognitives modernes.
Pourtant, la
responsabilité sur laquelle repose le droit commande bien la présence, et du corps par lequel une
action est accomplit et qui plonge le sujet dans une situation juridiquement
appréhensible, et de la conscience,
en tant qu’ouverture à un acte cette fois ontologique et libre, qui fait
précisément du sujet ce qu’il est. L’unité dont rêve la neurologie peut alors
s’actualiser en préservant l’altérité de chacun de ces pôles, et en admettant
que la personne, au dessus d’eux, si elle ne peut ni ne doit être désincarnée,
ne peut non plus être figée en une certaine entité anatomique, fût-elle le
centre de notre système nerveux et encore assez mystérieuse pour que sa
connaissance laisse subsister une liberté hypothétique.
Comprendre le patrimoine génétique et les structures
neuronales de l’être humain ne suffit pas, –et il faut s’en réjouir– à
comprendre la personne humaine, qui toujours se dérobe et se rebelle si on
cherche à l’enfermer en une détermination insurmontable.
S’il y a bien évidemment
une réalité biologique et une limite corporelle avec laquelle il faut composer,
comme avec l’environnement dans lequel nous évoluons, l’erreur consiste à
réduire le tout de la personne à ses réactions moléculaires, son existence absolue
à des manifestations comportementales transitoires.
________________________________________________________________
© THÈMES, Revue de la
B.P.C., VI/2012, mise en ligne le 14 septembre 2012
[1] Doctorante, Centre de philosophie du droit, Université
Montesquieu Bordeaux IV.
[2] Jean-Marc TRIGEAUD, notamment dans Personne, Droit, Existence, Editions Bière, bibliothèque
de philosophie comparée, Paris, octobre 2009, 271 p.
Sur la question de la liberté, on peut renvoyer par
exemple à « Qu’en est-il de la liberté au fondement de la responsabilité
juridique et morale ? Réflexions de synthèse », Revue Semestrielle
Fides Quaerens, Universitat di Filosofia, Calabria,
Facoltà teologica dell’Italia meridionale, Naples, 2010, 9 p.
[3] C’est ce que remarque Winfried HASSEMER, dans son
article tiré d’une conférence à l’académie Royale espagnole :
« Neurociencias y culpabilidad en Derecho penal », Barcelone, avril
2011, www.indret.com
.
[4] Pour une réflexion sur le rôle qu’a à jouer l’émotion en
droit, voir Aymeric d’ALTON, « La place de l’émotion dans la structure
objective du droit », in Revue
de la B.P.C, Thèmes, IV/2012, mis en ligne le 31 mars 2012.
[5] Neil LEVY (éd.), Evolutionary Ethics, The international Library of Essays on Evolutionary Thought
vol.3, Ashgate, 2010, 341 p.
[6] Michael FREEMAN
(éd.), Law and Neuroscience, Current legal issues 2010, Volume 13, Oxford
University Press, 2011, 563 p.
[7] Louis LAVELLE, La
dialectique de l’éternel présent : De l’Acte, Collection Philosophie
de l’esprit, éditions Montaigne, Paris, 1946, 541 p.
« L’acte n’est
point une opération qui s’ajoute à l’être, mais son essence même »,
sic., p. 65. C’est bien l’acte d’être qui est ici considéré par le philosophe
et non une action quelconque et étendue. C’est ce qui apparaît de manière
évidente lorsque LAVELLE nous dit : « On pense parfois que l’être
s’oppose à l’acte comme une chose inerte à un geste créateur. Mais ce geste
n’est qu’un mouvement, c’est-à-dire l’image de l’acte et non point l’acte
lui-même. Et si on dit de l’acte proprement dit qu’il est immobile, ce n’est
point comme d’un mouvement pétrifié, mais comme du principe qui anime tous les
mouvements possibles. », p. 67.
[8] Gabriel MARCEL, notamment dans L’homme problématique,
mais plus généralement, toutes ses œuvres sont traversées par cette idée.
[9] Mathieu DEPENAU, « L’origine naturelle du sens
moral », in Eikasia. Revista de Filosofia, n°27, août 2009, p.111 à 132, www.revistadefilosofia.org
Cet article nous paraît très représentatif des tendances
que nous commentons ici, aussi bien dans ses postulats apparemment inconscients
que dans la recherche qui les sous-tends : « Même s’il n’est pas
évident d’observer le phénomène moral de manière scientifique, sa
co-originarité avec la socialité fait que nous ne pouvons plus adhérer aux
thèses philosophico-théologiques qui continuent à lui attribuer des propriétés
objectives et universelles surnaturelles. (…) Le véritable sens moral semble
donc ne pas être rationnel mais bien plutôt instinctif, ancré dans nos
tendances sociales héréditaires. », p. 128 et 129.
Parallèlement à ces actes de foi de l’évolutionnisme
éthique, il convient de citer les recherches du neurobiologiste Gerhard ROTH,
qui vont dans le même sens et reposent sur un même analytisme, « Worüber
dürfen Hirnforscher reden – und in Welcher Weise ? », in Christian
GEYER (dir.), Hirnforschung und
Willensfreiheit, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 2004, p.66 et s.
[10] Le questionnement de l’humanité du monstre de
Frankenstein pourrait en être une illustration littéraire, puisqu’il est
façonné à partir de morceaux d’hommes. Plusieurs parties de l’anatomie humaine,
sans vie, peuvent-elles, en étant simplement rattachées l’une à l’autre,
provoquer la vie véritable sans entraîner l’homme ainsi recréé dans une
monstruosité radicale ?
[11] Winfried HASSEMER, article précité, p. 4 et 5 notamment.
[12] « On entend de manière générale par évolution toute
variation de l’état d’un système au cours du temps (…). On peut désigner sous
le nom d’évolutionnisme le courant de pensée selon lequel la compréhension d’un
phénomène biologique est enrichie par la prise en compte de sa place et de son
rôle dans l’évolution biologique », in
Encyclopédie philosophique universelle.
[13] Neil LEVY ne prétend pas que la morale puisse être
directement expliquée par l’évolution et est en ce sens plus proche des thèses
d’HUXLEY que de celles défendues par SPENCER. Néanmoins, il lui semble que
l’évolution nous fourni le matériel de base à partir duquel nous construisons
notre sens moral. Cela explique que dans cette vue nous puissions parfois agir
contre les exigences de l’évolution. « L’effet réversif » de
l’évolution est ainsi ce qui permettrait d’introduire une part de liberté dans
son déterminisme. Patrick TORT a défini cette notion dans son Dictionnaire du darwinisme et de
l’évolution, et c’est à lui que l’on prête la paternité de cette idée,
quoique ses racines nous semblent pouvoir être dégagées des études de SPENCER
lui-même.
Voire à ce propos les riches études de Jean HALLEUX sur
l’évolutionnisme de SPENCER : « L'hypothèse évolutionniste en Morale.
Première partie. Les principes de la Morale évolutionniste », in Revue
néoscolastique, 7° année, n°27, 1900,
p. 277 à 292 ; « L'hypothèse évolutionniste en morale
(suite) », in Revue néoscolastique, 7° année, n°28, 1900, p. 365 à 388 ;
« L'hypothèse évolutionniste en morale (suite). Deuxième partie.
Discussion », in Revue
néoscolastique, 8° année, n°29, 1901, p. 26 à 45 et enfin
« L'hypothèse évolutionniste en morale (suite et fin) », in Revue
néoscolastique, 8° année, n°30, 1901,
p. 109 à 126.
[14] Dans la pensée de DARWIN, l’évolution est intimement
liée au hasard et ne peut donc rechercher à priori une progression vers le
mieux. C’est
ainsi que Neil LEVY précise: « According to [the neo-darwinian consensus
view], evolution occurs through the process of random variation, differential
reproduction and inheritance », note 1, p. xii.
C’est à SPENCER que l’on doit l’idée selon laquelle le
Bien serait simplement le plus adapté. Dans The data of ethics, il pose très clairement l’idée que « the
conduct to which we apply the name good, is the relatively more evolved
conduct; and that bad is the name we apply to conduct which is relatively less
evolved”, 1883, p.25, cité par Neil LEVY (dir.), Evolutionary ethics,
Ashgate, 2010, p. xiii.
[15] C’est le concept de group
selection, qui occupe une place très importante dans l’ouvrage dirigé par
Neil LEVY, dès lors qu’il permet de comprendre l’existence de l’altruisme.
Sur ce point précis
cf. notamment Philip KITCHER, “Psychological Altruism, Evolutionary Origins,
and Moral rules”, in Philosophical
studies, 1998, p. 283 à 316 ; Elliot SOBER et David Sloan WILSON,
“Summary of : “Unto Others : The Evolution and Psychology of
Unselfish Behavior””, in The journal of
Consciousness Studies, p. 185 à 206. Ces
deux articles sont intégralement repris dans Evolutionary Ethics, p.
35 à 91.
[16] DARWIN avait, dès l’origine de l’évolutionnisme, aspiré
à dévoiler le continuum qui attacherait les sentiments moraux humains à une
proto-moralité animale.
[17] Indiquons que cette hypothèse s’oppose a priori à celle,
que l’on pose également dans une perspective évolutionniste, et selon laquelle
la capacité de l’homme à tuer un autre être humain s’explique elle aussi par
les besoins de la survie !
[18] Une autre classification distingue d’autre part un
altruisme « hard-core », qui serait celui que nous réserverions à
ceux qui sont nos proches, et un altruisme « soft-core », réciproque
et destiné à permettre des relations sociales. Une telle classification est
exposée par Robert J. RICHARDS, « A Defense of Evolutionary Ethics »,
in Biology and Philosophy, p. 265 à 93, reproduit in Neil LEVY, ouvrage précité.
Nous avons choisit de ne pas présenter cette dernière
distinction parce qu’elle nous semble être un point de vue plus minoritaire
dans les thèses évolutionnistes défendues ailleurs dans l’ouvrage. En effet,
les auteurs ont une tendance plus globale à considérer justement que
l’altruisme qui est étendu à des personnes étrangères à notre consanguinité est
ce qui caractérise la moralité humaine. Quoique l’ouvrage du docteur LEVY se
situe dans une perspective opposée à la voie dominante des néo-spencériens,
cette idée était déjà présente dans l’œuvre du philosophe anglais.
[19] Ou son bien-être si l’on suit SPENCER, ce qui signifie
que, pour lui, il faut prendre en compte la longévité mais aussi l’intensité de
la vie.
[20] Nous avons repris ici l’article de Neven SASARDIC,
« Recent Work on Human Altruism and Evolution », in Ethics, 106, p. 128 à 57, reproduit in
Neil LEVY (dir.), op. cit.
[21] Rappelons à ce sujet l’étude menée par Philippe
KELLERSON, « Persée et la méduse, Le mythe du sacrifice héroïque », in Thèmes, revue de la B.P.C, II/2010,
mis en ligne le 14. 05 .2010.
[22] Jessica C. FLACK,
Frans B.M. DE WAAL, « Any Animal Whatever, Darwinian Building Blocks of
Morality in Monkeys and Apes”, in Journal
of consciousness Studies, p.1 à 29, reproduit dans Neil LEVY, opus précité.
Si ce concept d’empathie cognitive permet, ou tente de
permettre, la réconciliation de la raison et du sentiment, de KANT et de HUME,
pour reprendre les mots des auteurs, il apparaît qu’il est utilisé par eux pour
expliquer le passage de la proto-moralité à la moralité. Conformément aux
thèses soutenues ailleurs dans l’ouvrage anglais qui se situe davantage dans
une perspective Huxleyienne, il s’agit de montrer qu’il existe un lien indirect
entre la morale et l’évolution puisque l’évolution ne fait que fournir des
matériaux avec lesquels la morale se compose.
[23] Jean HALLEUX, série d’articles précitée
[24] Cela nous semble correspondre parfaitement au nihilisme
qu’analyse Pier Paolo OTTONELLO dans Structure et formes du nihilisme européen,
Essais introductifs, Bibliothèque de philosophie comparée, Editions Bière,
traduit de l’italien par Emmanuel ROCHER et Jean-Marc TRIGEAUD, 1997, 147 p.
En effet, il nous semble que le néo évolutionnisme ne
puisse accepter que des étants finis, sans possibilité de considérer un être et
sans moyen d’admettre même au sein des étants une dialectique de l’être et du
néant.
[25] S.THOMAS suit ARISTOTE sur cette partition entre le
problème de devenir, dynamique, relevant de la physique, et le problème de la
diversité, statique, relevant de la métaphysique. Il est d’ailleurs assez
remarquable que les quelques commentaires de l’évolutionnisme moral qui sont en
langue française sont présentés par des revues dédiées aux scolastiques. Cf.
notamment l’article de Jean HALLEUX, op. cit.
[26] Il ne s’agit pas du tout d’adopter ici la position de
l’idéalisme kantien d’un être inconnaissable, mais simplement de constater que
l’empirisme de l’évolutionnisme et son objet d’étude lui interdisent de voir ce
qui, dans l’acte humain, n’est pas matériel. Or, il nous semble que l’étude de
la moralité nécessite de tenir compte peut-être d’aspects biologiques qui ont
leur importance, mais aussi d’éléments purement qualitatifs.
[27] La philosophie thomiste nous apprend ainsi que l’homme a
bien une fin naturelle, mais que s’il ne peut pas ne pas tendre vers cette fin,
c’est par sa raison et son ouverture à l’universel qu’il y accède. L’homme est
une nature libre.
[28] Selon BERGSON « pour un être conscient, exister
consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment
soi-même ». Le changement n’est donc pas pour lui un simple changement
extrinsèque, dans l’organisation spatiale des corpuscules entre eux, mais un
changement véritable et radical, intrinsèque. La question a pu se poser alors de
l’identité, puisque d’aucuns ont pu dire alors que l’être bergsonien était un
pur devenir, une pure action…L’unité de la personne peut reposer néanmoins dans
sa pluralité même, c’est l’idée développée par Camille RIQUIER, « Bergson
et le problème de la personnalité : la personne dans tous ses
états », in Les Etudes
philosophiques, Personne et Ipséité, avril 2007, p. 193 à 214. Mais c’est
aussi et surtout ce que dit BERGSON lui-même, lorsqu’il énonce que la
personnalité est « une continuité de changement », in « The problem of
personality », Gifford lectures,
21 avril-22 mai 1914, Lecture IV, Traduction de M. Robinet, BERGSON, Mélanges, Paris, P.U.F, 1972, p.
1079-1080.
[29] L’une des critiques les plus connues adressée par BERGSON
à SPENCER est celle qui consiste à dire que l’évolutionnisme prétend retracer
« l’évolution avec des fragments de l’évolué », BERGSON, L’évolution créatrice, P.U.F, Quadrige,
octobre 2007 [1941], p. 363.
[30] Henri BERGSON, op. cit., p.136 et s.
[31] Ibidem, p.
149.
Plus loin, BERGSON précise que l’instinct emporte la
connaissance innée d’une chose alors que l’intelligence permet la connaissance
d’un rapport même potentiel entre les choses.
[32] Ibidem,
p.145 : « En approfondissant ce point, on trouverait que la
conscience est la lumière immanente à la zone d’actions possibles ou d’activité
virtuelle qui entoure l’action effectivement accomplie par l’être vivant. Elle
signifie hésitation ou choix. (…) De ce point de vue, on définirait la conscience de l’être vivant une différence
arithmétique entre l’activité virtuelle et l’activité réelle. Elle mesure
l’écart entre la représentation et l’action », sic.
[33] Bien sûr, on peut aussi se référer à l’ouvrage de Léon
HUSSON, L’intellectualisme de Bergson,
Genèse et développement de la notion bergsonienne d’intuition, P.U.F,
Paris, 1947, 240 p.
[34] Henri HUDE, « Intuition et invention chez
Bergson », in Anne
FAGOT-LARGEAULT, Frédéric WORMS (éd.), Annales
bergsoniennes, Tome IV, L’évolution créatrice, 1907-2007 : Epistémologie
et Métaphysique, P.U.F, Collection Epiméthée, Paris, décembre 2008, p. 179
à 200.
[35] René LE SENNE, « l’intuition morale d’après
Bergson », in Etudes bergsoniennes.
Hommage à Henri Bergson (1859-1941), P.U.F, Paris, 1942, p. 98 à 123.
« Ce qu’une intuition, dès qu’elle est obtenue, nous
demande, ce ne peut être qu’un consentement ; mais le champs couvert par
la portée de ce mot, si on déploie son application comme un éventail, va de
cette acception-limite où consentir, ce n’est qu’agréer, à cette autre
extrémité, où c’est coopérer, et même fondre sa propre création avec la
création absolue ; Entre les deux il y a place pour l’assentiment
volontaire par lequel un homme donne une partie de l’énergie dont il dispose à
une détermination pour la sceller dans l’existence. C’est là, dans cette
activité, voulante en tant que nous lui donnons notre élan, voulue en tant que
la détermination y manifeste notre limitation, qu’est le domaine moral »,
p. 100-101.
Et plus loin : « La première originalité de la
description bergsonienne de la vie morale, c’est qu’elle se porte, au-delà de
toutes déterminations, vers le fond dynamique de l’action et c’est ce fond que
l’intuition doit apercevoir », p. 102.
Enfin, LE SENNE conclut sur cette idée capitale que
« l’intuitif, sans rejeter le déterminé, le déborde ; il le restreint
à la condition de médiation pensée en vue d’une immédiation proversive »,
p. 106.
[36] Bien qu’il s’en soit éloigné dans sa philosophie, on
sait que BERGSON a travaillé sur l’âme universelle de PLOTIN.
[37] Il nous semble pouvoir faire un rapprochement sur ce
point entre la pensée bergsonienne et celle de s. AUGUSTIN. Cf. à ce propos la
thèse d’Hannah ARENDT, Le concept d’amour
chez s. Augustin, Paris, Payot rivages poche, 1999, 121 p.
[38] Maurice PRADINES, « Spiritualisme et psychologie
chez Henri Bergson », in Etudes Bergsoniennes, op cit.,
p.96.
[39] On peut citer, outre l’ouvrage de Michael FREEMAN (éd.),
et al., op. cit., Gunnar DUTTGE (éd.) et al., Das Ich und das Gehirn. Die Herausforderungen der neurobiologischen
Forschung für das (Straf-) recht, Universitätsverlag Göttingen, Göttingen, 2009, 157 p.
On parle ainsi aujourd’hui de « neuro-droit »
ou de « neuro-éthique »…Des centres de recherche consacrés au sujet
tels que la Neuroethics Society, fondée en 2006, ont même vu le jour.
[40] Le premier à faire cette découverte fût Benjamin LIBET,
en 1983.
[41] C’est à une théorie plus extrême que répond Winfried HASSEMER
dans son article dès lors que Gerard ROTH, qu’il vise directement, pose l’idée
que tout mouvement serait déjà figé dans notre cerveau, via une série de
processus neuronaux, avant même que nous ayons choisit d’exécuter ce mouvement.
Une telle vision n’est pas majoritairement admise par les neurologues.
[42] Cf. Jean-Marc TRIGEAUD, op. cit.
[43] Sur ce point, la jurisprudence anglo-saxonne utilise
déjà, d’une manière relativement importante l’imagerie cérébrale pour atténuer
la peine de certains criminels, comme dans l’affaire Sexton versus State, 2000, qui fait l’objet de
certains commentaires de Michael FREEMAN. Dans cette affaire, la peine
qu’encourrait Sexton pour meurtre est allégée parce que des analyses ont montré
un dysfonctionnement de son système limbique, lequel est ordinairement rattaché
à des troubles du comportement. Mais il faut ajouter que l’auteur du crime
était dans l’incapacité de comprendre ce qu’il avait fait dès lors qu’il était
prouvé qu’il souffrait de déficiences mentales et que le crime avait été
commandité par son père qui le maltraitait. Ainsi, il apparaît que cette
affaire démontre bien qu’un ensemble de faits contribuent en réalité à
amoindrir la responsabilité de l’auteur.
[44] C’est le cas de tous les articles constituant l’ouvrage
du professeur FREEMAN, mais c’est aussi une question centrale pour l’ouvrage de
Gunnar DUTTGE, op. cit.
Signalons également
l’article de Björn SCHULZ, « Willensfreiheit und Strafrecht im
Spannungsfeld zwischen moderner Neurowissenschaft und Philosophie », in Politica criminal, n° 6, 2008, p. 1 à
61, http://www.politicacriminal.cl/n_06/a_3_6.pdf.
[45] Voir les articles de Walter. GLANNON, « What Neuroscience can (and cannot) tell us about criminal
responsibility », p. 13 à 29; Henry T. GREELY, « Neuroscience and Criminal
Responsibility: Proving "Can't Help Himself" as a narrow bar to
criminal liability », p. 61 à 79.
[46] Cette idée est justement
dénoncée par Franz STRENG, « Hirnforschung, Willensfreiheit und Schuld »,
in Gunnar DUTTGE (éd.), op.cit., p. 97 à 103.
Il expose ainsi dans sa
conclusion l’idée que :« Anders als in Laborsituationen stellt
nämlich in wichtigen Lebensentscheidungen die – Freiheitsempfindungen
vermittelnde– bewusste Bearbeitung von im Unbewussten wurzelnden Handlungs-
impulsen eine kaum zu umgehende Herausforderung dar.(…) Dem Laborexperiment
wird solches für den Bereich der besonders schwerwiegenden, moralbesetzten
Entscheidungen letztlich verschlossen bleiben.», p. 100-101.
[47] Gunnar DUTTGE et al., « Das
Manifest: Elf führende Neurowissenschaftler über Gegenwart und Zukunft der
Hirnforschung », in op. Cit., p. 147 à 155.
« Das ist in
etwa so, als versuchte man die Funktionsweise eines Computers zu ergründen,
indem man seinen Stromverbrauch misst, während er verschiedene Aufgaben
abarbeitet .», p. 149.
[48] L’idée d’« anomalie » elle-même n’est-elle pas
d’ailleurs déjà un jugement de valeur ? Quel cerveau pourrait être la
référence du fonctionnement qui devrait être celui de tout cerveau
humain ? On voit bien qu’alors on ne fait que reporter le problème de la
responsabilité de la personne à son encéphale, ce qui est un paralogisme dès
lors que l’on est contraint alors ou bien à prétendre faussement que la
responsabilité n’existe pas puisque le cerveau n’est qu’une chaire, ou bien à
lui attribuer une personnalité, ce qui donc conduit le raisonnement à une regressio ad infinitum.
[49] Stephen J. MORSE, « Lost in
Translation ? An Essay on Law and Neuroscience », in Michael FREEMAN
(éd.), Law and Neuroscience, Current
Legal Issues 2010, Vol. 13, Oxford university press, 2011, p. 529 à 562.
Il indique ainsi à plusieurs reprises que dans
l’hypothèse où un examen cérébral montrerait bien un problème fonctionnel ou structurel,
mais où le comportement de l’agent pourrait être qualifié de raisonnable, ce
comportement suffirait à disqualifier les résultats de l’IRM comme preuve d’une
atténuation de la responsabilité. C’est
aussi ce qui explique que les expertises neurologiques ne puissent qu’être un
soutient, et non un guide, de la décision du juge. C’est l’une des thèses
générales de ce recueil, dont on ne peut qu’apprécier la mesure.
[50] Jean-Marc TRIGEAUD a plusieurs fois déjà dénoncé cette idée
de dangerosité, par exemple dans Personne,
Droit, Existence, « Loi sur la rétention de sûreté et philosophie
criminelle », Editions Bière, bibliothèque de philosophie comparée, Paris,
octobre 2009, p. 223 à 240. L’auteur rappelle ainsi à quel point il est
essentiel de sauvegarder la distinction entre l’acte qui aura été criminel et
qui fera l’objet d’un jugement, et la personne, Cf. p.232 et s.
Voire aussi Jean-Marc TRIGEAUD sur « la personne et
la théorie du genre ou le mélange des genres », 2011, 8 p., http://www http://www.acaderc.org.ar/doctrina/articulos/la-personne-et-la-theorie-du-genre-ou-le-melange.
, puisqu’il semble que le mécanisme d’enfermement de la personne soit similaire
ici à ce qu’il peut il y avoir de déterminisme insurmontable dans les
neurosciences.
Ainsi, cette longue citation tirée de l’article précité
pourrait-elle parfaitement s’appliquer à notre propos : « Mais sans
doute la théorie dite du genre oublie-t-elle ainsi au cœur de la personne
humaine sa liberté : la liberté de faire obstacle à de tels conditionnements et
d’orienter vers ce qui s’oppose le plus à eux, comme en sont témoins tant de
destins notamment de penseurs, de créateurs et d’artistes, qui ne se sont
affirmés précisément qu’en une sorte de contradiction à tous degrés avec ce qui
semblait devoir les contraindre. Et, plus en profondeur, peut-être feint elle
d’ignorer aussi, par présupposé positiviste cette fois, qui lui fait usurper
les fonctions d’une critique de toute métaphysique, et c’est là la limite qui
en marque au fond le caractère assez dérisoire, que l’acte (intersubjectivement
et praxéologiquement parlant) ne définit pas le sujet, et qu’aucune confusion,
malgré la néo-phénoménologie ambiante qui a largement faussé ici le sens d’une
ontologie (et d’une théologie) de la personne (dans des perspectives au surplus
prétendument chrétiennes en France), ne saurait sévir entre l’existence d’un
individu et la pratique de ses faits et gestes extérieurs », p.1.
[51] On peut encore penser à BERGSON, pour qui l’action était
préparée par des phénomènes d’inhibition, un peu à la manière des souvenirs qui
étaient pour lui faits d’oublis. Ici, les neurosciences tendent à confirmer
l’intuition qu’avait eu Bergson, comme le montre Alain BERTHOZ, « Les
théories de Bergson sur la perception, la mémoire et le rire, au regard des
données des neurosciences », in
Frédéric WORMS et Anna FAGOT-LARGEAULT (éd.), Annales bergsoniennes IV, L’évolution créatrice 1907-2007 :
épistémologie et métaphysique, P.U.F, Collection Epiméthée, Paris, 2008, p.
163 à 178.
[52] Pour un aspect de cette théorie, il est possible de voir
par exemple les travaux de Gérald EDELMAN, qui prônent d’ailleurs un « darwinisme
neuronal », et qui ont fait notamment l’objet d’une analyse de Bernard
FELTZ, « L’inné et l’acquis dans les neurosciences contemporaines », in Revue Philosophique de Louvain,
Quatrième série, Tome 98, n°4, 2000, p. 711 à 731.
[53] C’est le cas par exemple
de Susan GREENFIELD, The Quest for
Meaning in the 21st Century, Londres, Sceptre, 2009, p.292.
Il faut penser également au dualisme entre matière de
mémoire de BERGSON, sur lequel nous reviendrons. Cf. Infra.
[54] Cette idée fonde en grande partie le scepticisme de
Stephen J. MORSE à l’égard des apports des neurosciences en droit, comme il
l’expose dans son article qui conclut d’ailleurs l’ouvrage édité par Michael
FREEMAN, article précité.
Le professeur MORSE critique ainsi particulièrement les
thèses mécanistes. Si, selon lui, il est plausible de penser que les progrès de
l’imagerie médicale permettront dans peu de temps de voir comment les cellules
de notre cerveau interagissent (par exemple il serait possible de prévoir, en
observant le cerveau, ce qu’une personne va dire), il n’est par pour autant
concevable de réduire une disposition mentale, un état d’esprit, à un état
neuronal.
[55] Il est impossible de ne pas songer ici aux célèbres
travaux d’Antonio DAMASIO, notamment lorsque dans son ouvrage au titre
évocateur, L’erreur de Descartes, il
indique que l’émotion ferait partie de la raison, en tant notamment qu’elle
serait un instrument de l’adaptation. C’est une vue qui nous semble désormais
assez dominante en neurologie, et qui illustre encore une fois le parallèle que
l’on peut faire entre elle et l’évolutionnisme.
[55]
Doctorante, Centre de philosophie du droit, Université Montesquieu Bordeaux IV.