Revue
de la B.P.C.
THÈMES
II/2010
Mise en ligne le 14/V/2010
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Federico
Bellomi, peintre et sculpteur, n’est plus
Membre du Comité d’honneur de la BPC
depuis les origines, et auteur de premières couvertures des ouvrages de la
collection de philosophie du droit, notre ami le peintre et sculpteur Federico
Bellomi vient de s’éteindre à l’âge de 82 ans dans sa ville natale de Vérone.
Très jeune, il voulut
tenter l’aventure de l’itinérance pour l’amour de la peinture et des paysages
français. Il se fit ouvrier mineur quelques années dans le massif central et
assuma un travail rude et ingrat qui lui procura aussi une expérience
humaine sans égal ; sa stature lui permit même, ce qu’il se plaisait à
confier, de jouer à la demande les « videurs » de bar quand il
s’agissait de protéger les copains. Un journal italien titra ainsi à son retour :
« Un peintre de la Renaissance : de la mine à la Cignaroli ». Il
fut en effet assez rapidement titulaire de chaire à l’Académie des Beaux-Arts
Cignaroli de Verone et son atelier a accueilli en formation durant des
décennies des élèves et des artistes du monde entier. Son œuvre colossale
recouvre des genres très variés : très tôt, il composa des décors de
théâtre (pour les Arènes de Vérone et les festivals lyriques internationaux) ou
des décors de film (il fit notamment en grande partie les décors du film Senso
de Visconti) ; mais il fut également un très puissant dessinateur et
graveur à l’école de Dante Broglio, dans la tradition du miniaturisme
napolitain, en multipliant là encore les supports esthétiques (plumes, lavis,
« penne guazzate », pastels, xylographies) ; il participa à l’édition illustrée de livres
spirituels ou sacrés et de nombreux classiques littéraires (Dante) ; et il
s’est révélé aussi bien dans la sculpture monumentale du marbre et du
bronze ; puis, il a pratiqué avec passion l’huile et l’aquarelle où il excellait
à reprendre de vieilles recettes secrètes des maîtres hollandais, en disposant
ses chevalets au plus près, dans la région virgilienne de Mantoue et des bords
du fleuve Mincio, ou en s’engageant dans de plus lointains déplacements,
exceptionnellement à Bordeaux, ou, plus fréquemment, dans le finistère breton
ou près des falaises de Normandie qu’il affectionnait particulièrement, ou au
cœur des sierra espagnoles où toute sa famille l’accompagnait durant les
périodes d’été ; et il a inauguré alors une sorte de néo-impressionnisme et de
post-expressionisme et post-cubisme originaux qu’il a simplement baptisés
« La Nuova Forma » en jouant de toutes les connotations
ontologiques et plastiques qui s’attachent à la sémantique de ce mot ; il
s’est de même dévoué à l’art du vitrail comme le montre le saisissant ensemble
de La Vetrata de la Casa Perez dans l’aire de l’hôpital de Vérone.
Mais l’œuvre essentielle
de celui qui apparaissait physiquement comme une force de la nature, capable de
rester des nuits entières à travailler avec ses assistants au sommet de ses
échafaudages de 15 m de haut, demeure bien la fresque ou de la peinture à
l’œuf, selon la technique de la tempera et de la velature héritée
du Quattrocento : il a été ainsi conduit, en utilisant les pigments
d’origine les plus rares (le lapis chypriote ou le cobalt natif de méditerranée
orientale) à couvrir plusieurs centaines de mètres carrés de murs, de parois,
de voutes, en imaginant des milliers de personnages, habillés ou dénudés, dans
des édifices sacrés (quantité d’églises de la province de Vérone, des abords du
lac de Garde ou de Mantoue et de Vénétie) ou des bâtiments publics (la salle
d’audience centrale du tribunal de Vérone longeant la fameuse piazza delle
Erbe) ou de lieux privés (tout proches, comme la mythique Locanda Mincio
à Borghetto-sul-Mincio où le professeur Victor Vari de l’université Santa Clara
en Californie venait suivre chaque année avec ses étudiants l’avancement de son
travail, ou ailleurs en Europe ou encore aux Etats-Unis).
Il n’a enfin jamais cessé
d’écrire et de présenter des conférences d’esthétique. Nul doute que l’Italie
et la Région de Vérone-Venise perdent l’un de ses plus grands créateurs de la
fin du XXe siècle. Son œuvre est répertoriée, figure ou a été honorée dans les
principaux musées d’Europe et d’Amérique (en dehors de l’Italie, du Castel
Vecchio de Verone ou de musées de Naples et de Rome, citons le Musée d’art
moderne de la ville de Barcelone ou de Paris, le Metropolitan Museum ou
le Musée de l’Hispanic Society de N.Y.). Mais l’engagement plus public
que privé de Bellomi l’a toujours porté à la méfiance et à une sorte de retenue
voire de pudeur dans le domaine d’un marché où il répugnait à ce que ses œuvres
se retrouvent trop vite, refusant même les interviews sur ce point, et en se
montrant souvent intransigeant sur le maintien de l’affectation inaliénable à
des intérêts publics, ou à des liens amicaux.
Honoré comme le dernier
grand fresquiste italien, comme un peintre en art sacré majeur en plusieurs
numéros spéciaux de galeries ou de revues (jusqu’à l’Osservatore Romano),
Federico Bellomi venait d’attirer l’attention des médias par l’achèvement d’un
travail de ces cinq dernières années : les 240 m 2 de fresques de l’Eglise de Ligagnano où
viennent d’avoir lieu ses funérailles célébrées par Mgr Piazzi, recteur de la
bibliothèque capitulaire de Vérone, - la bibliothèque qui conserve avec celle
de Florence le plus ancien fonds européen de manuscrits antiques et médiévaux
et d’enluminures.
Mais Federico Bellomi participait à la vie publique (membre
du conseil municipal un temps de sa ville de Vérone, où chacun le connaissait
et l’interpellait, des terrasses immenses des cafés de la place des arènes, la piazza
Bra, à la maison de Juliette et au tombeau suspendu des Scaliger qui
n’avaient pas de secret pour lui). Or, voici bien un dernier trait
caractéristique de son tempérament généreux : il y a quelques mois, il
s’était exprimé publiquement d’une façon qui avait secoué l’opinion sociale et
politique ; invité à l’occasion d’un débat sur les lois italiennes
relatives à l’immigration et sur les récentes dispositions réglementaires
locales touchant les communautés arabes, roumaines et tziganes, et à la
surprise embarrassée de l’auditoire, il s’était enflammé en rappelant
l’élémentaire devoir chrétien de l’accueil et de l’hospitalité, et avait
réclamé de l’Eglise « un document clair » sur la nécessité de
protection des immigrés face à la suspicion ou à l’hypocrisie, et il aurait même
lancé alors un furieux : « vous avez tous la mémoire courte !
vous êtes, nous sommes tous des descendants d’immigrés ! ».
En témoigne justement l’une des
fresques de la Locanda Mincio sur la rencontre d’Attila défait, au retour
des champs cataloniques, suivi de ses hordes qualifiées hâtivement de
« barbares », et d’un Pape Léon désireux d’abandonner tout
triomphalisme, aux environs immédiats de Vérone, - le lieu également de la
bataille de Solferino ayant opposé la France de Napoléon III à l’Autriche …et
qui fit presque 60 000 morts en deux jours -, cette rencontre qui atteste
d’une altérité réconciliée qui n’a cessé de hanter la conscience du peintre,
comme elle est censée hanter aussi la pensée éprise d’universalisme de celui
qui entendrait montrer qu’un positivisme n’est que le frère de ce qu’il
« positivise » et qui n’est qu’un autre lui-même (allusion à
une couverture de notre collection).
Mais enfin, qu’il me
soit peut-être permis de reprendre le propos que j’extraie du petit hommage que
j’ai composé en hâte pour la cérémonie funèbre de Federico Bellomi du jeudi 30
avril et qui implique cette fois une autre dimension, celle du croyant et d’un
croyant non divisé en lui-même : « tout au fond de l’œuvre de
Federico Bellomi, il y a un homme total, un homme entier, et c’est précisément
cet homme intégral que Federico m’a dessiné un jour sur une plage de Malcesine
au bord du lac de Garde : ‘ tu vois les proportions, tu vois ce corps
qui est le temple de l’esprit’, me disait-il : ‘ eh bien moi je fais
la tête d’un huitième et non d’un septième, parce que l’homme n’est pas la
tête, il est aussi dans son corps, et au centre de ce corps un Autre habite, et
cet autre est le Christ’. Alors c’est sans doute le corps de ce Christ qui
domine de toute sa puissance, en humilié, mais aussi en vainqueur de la mort,
le maître autel de cette église de Ligagnano que nous sommes invités à
contempler. Inviscéré dans le sensible et dans le tourment des lignes et des
couleurs, Federico avait bien intérieurement le regard de la transfiguration
mystique avant d’être esthétique, il était possédé par ce sens d’un don profond
à l’être, à la vie, à la source de la vie, et cet homme-là, je veux en
témoigner, m’a fait voir l’invisible ».
En y joignant le
souvenir de sa mère Gabriela, disparue il y a une dizaine d’années, et de son
frère, le photographe Paolo Bellomi, victime peu avant d’un tragique accident,
nous adressons nos pensées sincèrement émues à Francesco Bellomi, pianiste et
compositeur, professeur au conservatoire G. Verdi de Milan, qui maintient si
bien vivante la mémoire et l’œuvre magistrale d’un père qui n’a cessé de nous
honorer durant 27 ans de sa présence et de son amitié.
Jean-Marc
Trigeaud
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